vendredi 5 décembre 2014

Les 10 leçons du Burkina Faso

Les 10 leçons du Burkina Faso
            Ce qui s’est (se passe) au Burkina Faso, reconnu mondialement comme pays des hommes intègres interpelle plus d’un et donne en même temps matière à réflexion. Pris pour modèle régional dans ses médiations dans les règlements des crises dans les pays de la sous-région, l’ancien président burkinabè a, en peu de temps, tout perdu : crédibilité, aura, mais surtout le pouvoir qu’il ne voulait pas quitter. Une histoire malheureuse qui doit inspirer plusieurs présidents africains, car riche en leçons.
            La première leçon est que la voix du peuple est la voix de Dieu. Par conséquent, tout dirigeant qui veut que le peuple qui l’a installé au pouvoir entende sa voix, doit d’abord s’humilier en prêtant attention à la sienne. Blaise Compaoré qui a passé outre cette réalité s’en est pris à lui-même lorsque le pouvoir l’a quitté.
            Ce qui arrive aux autres peut aussi arriver à tout le monde. Le commun des mortels oublie souvent – et c’est la grande erreur que nous commettons – que ce qui arrive chez le voisin peut aussi arriver demain à quiconque, peu importe dans quelles circonstances. Croire que la mort, le malheur, la honte, les maladies, l’opprobre… ne peuvent subvenir qu’aux autres est une aberration. Que sommes-nous, tous puissants que nous puissions nous prévaloir, pour esquiver toutes les vicissitudes inhérentes à la nature humaine ? Voilà la deuxième leçon.
            Gardons-nous de croire que le pouvoir est fait pour nous et non pour les autres, ou non pour nous mais seulement pour les autres. M. Compaoré y a profondément cru. Le mode que les hommes politiques se sont créé pour se le passer est appelé « alternance » qui s’accommode par des moyens légaux et honnêtes. Et que, par conséquent, croire qu’accepter de quitter  le pouvoir, lorsqu’il est temps, est une faiblesse, est une grosse faiblesse. C’est plutôt le contraire qui est une faiblesse suicidaire qui conduit bien des dictateurs vers leur chute fatale, comme Blaise Compaoré.  Telle est la troisième leçon.
            La quatrième leçon veut que nous acceptions de recevoir des leçons autant que nous pouvons être disposés à en donner à ceux qui en ont besoin. Blaise Compaoré s’est révélé, ces dernières décennies, comme l’un des meilleurs médiateurs de la sous-région dans les nombreuses crises qui secouent les pays de ses pairs. Le Mali, la Côte d’Ivoire, au plus fort de leurs crises sociopolitiques, ont bénéficié de la sagesse de ce « donneur des leçons ». Mais son peuple a refusé de médiateur pour régler son différend avec lui. Triste sort !

« Il faut savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte »
            La cinquième leçon nous demande de savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir  ne nous quitte. Il faut savoir quitter les affaires avant qu’il ne soit trop tard. Sous d’autres cieux, un président qui quitte le pouvoir, quoi de plus naturel. Quitter le pouvoir doit être considéré comme un événement normal au même titre qu’accéder au pouvoir. Malheureusement, en Afrique, si accéder au pouvoir est un événement qu’on célèbre avec faste, le quitter est un moment souvent qui se passe dans un bain de sang…Blaise Compaoré nous a servi un exemple que nous devons vite oublier.
            Ils ne sont pas nombreux les chefs d’Etat africains dont les noms sont gravés dans la mémoire collective de leurs peuple après avoir cédé calmement le pouvoir à leurs successeurs de la même manière qu’eux l’ont reçu de leurs prédécesseurs. L’histoire retient les noms d’ anciens présidents sénégalais Sédar  Senghor, béninois Mathieu Kérékou, ghanéens Jerry Rawlings et John Akufuor,  sud-africain Nelson Mandela, etc..
            La chute malheureuse et sanglante des dirigeants africains est vite oubliée par les dirigeants africains :Mouammar Kadhafi de la Libye, Mamadou Tandja du Niger, Hissène Habré du Tchad, Samuel Doe et, Charles Taylor du Libéria, Mobutu Sesse Seko du Zaïre, François Bozizé de la Centrafrique, Hosni Moubarak et Mohamed Morsi d’Egypte, pour ne citer que ceux-là. Pourquoi ?
            Vouloir croire et faire croire qu’on veut rester au pouvoir parce qu’on est le seul à rendre son peuple heureux, qu’on a encore des chantiers à réaliser, n’est qu’un subterfuge cousu de fil blanc pour s’éterniser au pouvoir. Lorsque Blaise Compaoré l’a dit, voici la réplique de son peuple ; « Qu’est-ce qu’en 27 ans vous n’avez pas pu réaliser que vous comptez réaliser maintenant ? » Retenez cette sixième leçon.
            Ecoutez ce que dit la septième leçon : Lorsqu’un dirigeant n’entend plus que la voix de sa propre conscience, l’estimant la meilleure, lorsqu’il devient sourd aux appels de son peuple, aux grondements assourdissants de la rue, dites-vous que la descente aux enfers vient d’être amorcée. Blaise Compaoré est en train de regretter de n’avoir pris en compte la mise en garde de son collègue français, François Hollande, contre « les risques liés à un changement non consensuel de la Constitution » et d’avoir rejeté, semble-t-il, l’offre  française de le soutenir pour un éventuel poste au niveau international lorsque M. Hollande, dans cette même lettre datée du 7 octobre, écrivait : « Vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents à la disposition de la communauté internationale. » A cette offre, Blaise Compaoré, aveuglé par la soif du pouvoir, aurait répondu qu’il était encore trop jeune pour s’intéresser à un poste international.
            Voilà comment il a évité une sortie honorable que lui a proposée son ami François Hollande qui avait vu le danger venir. Et pour n’avoir entendu que la voix égoïste de sa conscience, M. Compaoré est plus malheureux qu’il ne l’a prévu.

« Le pouvoir est un élixir de jouvence »        
            Quelqu’un a dit ceci : « Le pouvoir est un élixir de jouvence. Bu à petites doses, il permet de surmonter le naufrage de la vieillesse, à tire-larigot, c’est la recette parfaite de la descente aux enfers ».Blaise Compaoré l’a appris à ses dépens. Il eût entendu gronder la rue ce jeudi 30 octobre et les semaines avant, qu’il aurait quitté le pouvoir la tête haute et servi en même temps un bon exemple à toute l’Afrique dont les dirigeants peinent à intérioriser cette belle culture démocratique qu’est l’alternance démocratique.
            Que des exemples nous ont montré que ce n’est pas tous ceux qui nous disent nous aimer qui sont nos amis ni nos fidèles. De cette réalité l’ex-président burkinabè a tiré la huitième leçon selon laquelle ce n’est pas tous ceux qui l’ont poussé à se maintenir au pouvoir qui ont été ses fidèles. Un bon nombre d’entre eux l’ont fait pour leurs propres intérêts égoïstes et non pour les intérêts du peuple au nom duquel ils ne cessent de parler.
            Qu’on nous cite des exemples de ces collaborateurs qui ont accepté de rester jusqu’au sacrifice suprême avec le « chef » en cas de coup d’Etat. L’exemple le plus frappant et le plus récent est celui de François Compaoré, frère du président démissionnaire, qui a été arrêté jeudi 30 octobre par des militaires alors qu’il tentait de quitter le pays, abandonnant donc son frère de président !
            En plus, ayant compris que le pouvoir leur échappait, des militaires burkinabè n’ont pas hésité de rallier le bon côté, c’est-à-dire les manifestants, en tournant casaque. Comme quoi – et c’est la neuvième leçon – en politique, il n’ya que les intérêts qui comptent.
            Aujourd’hui, peut-on savoir où sont passés tous les fidèles de Blaise Compaoré qui l’ont soutenu ou poussé dans ce projet funeste de la révision constitutionnelle en ce moment ?
            Blaise Compaoré a oublié une chose : lorsque les eaux de la vague populaire se soulèvent, personne n’est capable de les contenir. Elles emportent ceux qui tentent de leur résister. Par conséquent, vouloir opposer la résistance à son peuple n‘est qu’une entreprise suicidaire. En effet, il n’y a pas de pouvoir fort pour pouvoir résister infiniment à la volonté du peuple. Retenons cette dixième leçon.
            Burkina Faso sera-t-il la Tunisie du printemps noir ? Fera-t-il école dans une Afrique malade des tentatives de révision constitutionnelle ? Fera-t-il l’effet domino sur les dirigeants africains engagés sur la même voie que celle de Blaise Compaoré ?

Kléber Kungu

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