Les 10 leçons du Burkina Faso
Ce qui s’est (se passe) au Burkina
Faso, reconnu mondialement comme pays des hommes intègres interpelle plus d’un
et donne en même temps matière à réflexion. Pris pour modèle régional dans ses
médiations dans les règlements des crises dans les pays de la sous-région,
l’ancien président burkinabè a, en peu de temps, tout perdu : crédibilité,
aura, mais surtout le pouvoir qu’il ne voulait pas quitter. Une histoire
malheureuse qui doit inspirer plusieurs présidents africains, car riche en
leçons.
La première leçon est que la voix du
peuple est la voix de Dieu. Par conséquent, tout dirigeant qui veut que le
peuple qui l’a installé au pouvoir entende sa voix, doit d’abord s’humilier en
prêtant attention à la sienne. Blaise Compaoré qui a passé outre cette réalité
s’en est pris à lui-même lorsque le pouvoir l’a quitté.
Ce qui arrive aux autres peut aussi
arriver à tout le monde. Le commun des mortels oublie souvent – et c’est la
grande erreur que nous commettons – que ce qui arrive chez le voisin peut aussi
arriver demain à quiconque, peu importe dans quelles circonstances. Croire que
la mort, le malheur, la honte, les maladies, l’opprobre… ne peuvent subvenir
qu’aux autres est une aberration. Que sommes-nous, tous puissants que nous
puissions nous prévaloir, pour esquiver toutes les vicissitudes inhérentes à la
nature humaine ? Voilà la deuxième leçon.
Gardons-nous de croire que le
pouvoir est fait pour nous et non pour les autres, ou non pour nous mais
seulement pour les autres. M. Compaoré y a profondément cru. Le mode que les
hommes politiques se sont créé pour se le passer est appelé
« alternance » qui s’accommode par des moyens légaux et honnêtes. Et
que, par conséquent, croire qu’accepter de quitter le pouvoir, lorsqu’il est temps, est une
faiblesse, est une grosse faiblesse. C’est plutôt le contraire qui est une
faiblesse suicidaire qui conduit bien des dictateurs vers leur chute fatale,
comme Blaise Compaoré. Telle est la
troisième leçon.
La quatrième leçon veut que nous acceptions
de recevoir des leçons autant que nous pouvons être disposés à en donner à ceux
qui en ont besoin. Blaise Compaoré s’est révélé, ces dernières décennies, comme
l’un des meilleurs médiateurs de la sous-région dans les nombreuses crises qui
secouent les pays de ses pairs. Le Mali, la Côte d’Ivoire, au plus fort de
leurs crises sociopolitiques, ont bénéficié de la sagesse de ce « donneur
des leçons ». Mais son peuple a refusé de médiateur pour régler son différend
avec lui. Triste sort !
« Il faut savoir
quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte »
La cinquième leçon nous demande de savoir
quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne nous quitte. Il faut savoir quitter les
affaires avant qu’il ne soit trop tard. Sous d’autres cieux, un président qui
quitte le pouvoir, quoi de plus naturel. Quitter le pouvoir doit être considéré
comme un événement normal au même titre qu’accéder au pouvoir. Malheureusement,
en Afrique, si accéder au pouvoir est un événement qu’on célèbre avec faste, le
quitter est un moment souvent qui se passe dans un bain de sang…Blaise Compaoré
nous a servi un exemple que nous devons vite oublier.
Ils ne sont pas nombreux les chefs
d’Etat africains dont les noms sont gravés dans la mémoire collective de leurs
peuple après avoir cédé calmement le pouvoir à leurs successeurs de la même
manière qu’eux l’ont reçu de leurs prédécesseurs. L’histoire retient les noms
d’ anciens présidents sénégalais Sédar Senghor, béninois Mathieu Kérékou, ghanéens
Jerry Rawlings et John Akufuor,
sud-africain Nelson Mandela, etc..
La chute malheureuse et sanglante des
dirigeants africains est vite oubliée par les dirigeants africains :Mouammar Kadhafi de la Libye, Mamadou Tandja du Niger, Hissène
Habré du Tchad, Samuel Doe et, Charles Taylor du Libéria, Mobutu Sesse Seko du
Zaïre, François Bozizé de la Centrafrique, Hosni Moubarak et Mohamed Morsi
d’Egypte, pour ne citer que ceux-là. Pourquoi ?
Vouloir croire
et faire croire qu’on veut rester au pouvoir parce qu’on est le seul à rendre
son peuple heureux, qu’on a encore des chantiers à réaliser, n’est qu’un
subterfuge cousu de fil blanc pour s’éterniser au pouvoir. Lorsque Blaise
Compaoré l’a dit, voici la réplique de son peuple ; « Qu’est-ce
qu’en 27 ans vous n’avez pas pu réaliser que vous comptez réaliser
maintenant ? » Retenez cette sixième leçon.
Ecoutez ce que dit la septième
leçon : Lorsqu’un dirigeant n’entend plus que la voix de sa propre
conscience, l’estimant la meilleure, lorsqu’il devient sourd aux appels de son
peuple, aux grondements assourdissants de la rue, dites-vous que la descente
aux enfers vient d’être amorcée. Blaise Compaoré est en train de regretter de n’avoir
pris en compte la mise en garde de son collègue français, François Hollande, contre
« les risques liés à un changement
non consensuel de la Constitution » et d’avoir rejeté, semble-t-il,
l’offre française de le soutenir pour un
éventuel poste au niveau international lorsque M. Hollande, dans cette même
lettre datée du 7 octobre, écrivait : « Vous
pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez
mettre votre expérience et vos talents à la disposition de la communauté
internationale. » A cette offre, Blaise Compaoré, aveuglé par la soif
du pouvoir, aurait répondu qu’il était encore trop jeune pour s’intéresser à un
poste international.
Voilà comment il a évité une sortie
honorable que lui a proposée son ami François Hollande qui avait vu le danger
venir. Et pour n’avoir entendu que la voix égoïste de sa conscience, M.
Compaoré est plus malheureux qu’il ne l’a prévu.
« Le pouvoir est
un élixir de jouvence »
Quelqu’un a dit
ceci : « Le pouvoir est un
élixir de jouvence. Bu à petites doses, il permet de surmonter le naufrage de
la vieillesse, à tire-larigot, c’est la recette parfaite de la descente aux
enfers ».Blaise Compaoré l’a appris à ses dépens. Il eût entendu
gronder la rue ce jeudi 30 octobre et les semaines avant, qu’il aurait quitté
le pouvoir la tête haute et servi en même temps un bon exemple à toute
l’Afrique dont les dirigeants peinent à intérioriser cette belle culture
démocratique qu’est l’alternance démocratique.
Que des exemples nous ont montré que
ce n’est pas tous ceux qui nous disent nous aimer qui sont nos amis ni nos
fidèles. De cette réalité l’ex-président burkinabè a tiré la huitième leçon
selon laquelle ce n’est pas tous ceux qui l’ont poussé à se maintenir au
pouvoir qui ont été ses fidèles. Un bon nombre d’entre eux l’ont fait pour
leurs propres intérêts égoïstes et non pour les intérêts du peuple au nom
duquel ils ne cessent de parler.
Qu’on nous cite des exemples de ces
collaborateurs qui ont accepté de rester jusqu’au sacrifice suprême avec le
« chef » en cas de coup d’Etat. L’exemple le plus frappant et le plus
récent est celui de François Compaoré, frère du président démissionnaire, qui a
été arrêté jeudi 30 octobre par des militaires alors qu’il tentait de quitter
le pays, abandonnant donc son frère de président !
En plus, ayant compris que le
pouvoir leur échappait, des militaires burkinabè n’ont pas hésité de rallier le
bon côté, c’est-à-dire les manifestants, en tournant casaque. Comme quoi – et
c’est la neuvième leçon – en politique, il n’ya que les intérêts qui comptent.
Aujourd’hui, peut-on savoir où sont
passés tous les fidèles de Blaise Compaoré qui l’ont soutenu ou poussé dans ce
projet funeste de la révision constitutionnelle en ce moment ?
Blaise Compaoré a oublié une
chose : lorsque les eaux de la vague populaire se soulèvent, personne
n’est capable de les contenir. Elles emportent ceux qui tentent de leur
résister. Par conséquent, vouloir opposer la résistance à son peuple n‘est
qu’une entreprise suicidaire. En effet, il n’y a pas de pouvoir fort pour
pouvoir résister infiniment à la volonté du peuple. Retenons cette dixième
leçon.
Burkina Faso sera-t-il la Tunisie du
printemps noir ? Fera-t-il école dans une Afrique malade des tentatives de
révision constitutionnelle ? Fera-t-il l’effet domino sur les dirigeants
africains engagés sur la même voie que celle de Blaise Compaoré ?
Kléber Kungu
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