samedi 24 mars 2012

Le procureur achève la présentation de ses preuves

Affaire Bemba à la CPI
Le procureur achève la présentation de ses preuves
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Louis Moreno Ocampo, a bouclé, ce jeudi 22 mars, la présentation de ses preuves dans l’affaire qui l’oppose à Jean-Pierre Bemba. La fin de la présentation des preuves intervient après l’audition à huis clos du témoin 36. Celui-ci, sous le couvert d’un pseudonyme, a fait une déposition pendant sept jours par vidéoconférence depuis Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC), puisque son état de santé l’a empêché de voyager et de se présenter devant la Cour.
En seize mois que vient de durer le procès, l’accusation a appelé à la barre 40 témoins, parmi lesquels 23 victimes directes des crimes qu’auraient commis les soldats du Mouvement de la libération du Congo (MLC), 4 experts, des témoins de contexte et des «insiders», d’anciens alliés de Jean-Pierre Bemba qui se sont retournés contre lui. Ceux-ci ont apporté un témoignage sur les meurtres, viols et pillages. Ces témoignages dont il est difficile d’évaluer le poids ont été faits à huis clos par les trois juges de la chambre.
Selon les procureurs, la déposition du témoin 36 concernait les opérations du MLC lors de son engagement dans le conflit. De plus, il était attendu que le témoin apporte un témoignage sur la responsabilité présumée de l’accusé. Le ‘‘témoin 36’’ est un ancien membre de la milice privée de l’accusé et est le dernier témoin à se présenter.
Le mardi 27 mars, dans la matinée, il est prévu que les juges entendent les avocats des 2 744 victimes représentées dans le procès et les défenseurs de Jean-Pierre Bemba pour débattre des suites de la procédure. Deux victimes devraient ensuite commencer leur déposition sous serment et trois autres devraient présenter leurs vues devant la chambre. Il sera question d’organiser une conférence de mise en état destinée à répondre aux questions relatives à la présentation de preuves par les représentants légaux des victimes et par la défense.
Les juges Sylvia Steiner, Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki ont affirmé que l’accusation, la défense, les représentants légaux des victimes ainsi qu’un représentant de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) de la Cour participeront à cette conférence de mise en état. La conférence de mise en état se tiendra en séance publique.
Dépassé cette étape, ce sera le tour de la défense du sénateur congolais d’appeler ses témoins à la barre. Les avocats ont aussi la possibilité d’appeler l’accusé lui-même à déposer devant les juges. Mais jusqu’ici, ils n’ont pas révélé leurs intentions.
Le mois dernier, les juges avaient autorisé cinq victimes à apporter un témoignage au cours du procès. Deux des victimes donneront un témoignage oral devant la Cour tandis que trois témoins exprimeront leurs points de vue en personne, bien que les modalités doivent être encore déterminées par les juges.
Au moment de la décision, la VWU a indiqué qu’en raison de récentes procédures concernant l’immigration en République centrafricaine, un délai de deux mois pouvait être nécessaire pour organiser le voyage des victimes qui témoigneront en personne à La Haye. Les juges ont ordonné que ces victimes doivent comparaître devant la Cour à compter du 23 avril 2012.
Jean-Pierre Bemba, 49 ans, est jugé par un tribunal basé à La Haye pour les crimes de meurtre, viol et pillage qui auraient été commis par ses troupes lors de leur déploiement dans le conflit armé qui a ravagé la République centrafricaine (RCA). Il a plaidé non coupable des trois crimes de guerre et des deux crimes contre l’humanité découlant, selon les procureurs, de son manquement à contrôler ou à punir ses soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) qui ont commis les saccages. Il a soutenu qu’il n’exerçait pas un commandement direct sur ses troupes stationnées dans le pays en conflit, affirmant que les troupes étaient passées sous le commandement de l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé, qui les avait invitées dans le pays pour aider ses troupes loyalistes à combattre une rébellion. Ange-Félix Patassé est décédé en avril 2011. Son décès est survenu avant que les procureurs n’aient finalisé leurs enquêtes sur les personnes qui pourraient être jugées pour des crimes relatifs au conflit.
Les troupes étaient présentes dans le pays voisin pour aider le président menacé, Ange-Félix Patassé, à combattre une tentative de coup d’Etat menée par le président actuel François Bozizé. Tout en niant les charges portées à son encontre, M. Bemba a affirmé que, une fois que les troupes avaient traversé la frontière entre le Congo et la RCA, elles étaient passées sous le commandement des autorités centrafricaines et n’étaient plus sous le sien. Il a ensuite soutenu que, hormis le MLC, d’autres forces participant au conflit pouvaient avoir perpétré les crimes présumés.
Ces groupes comprenaient les forces dirigées par le colonel Abdoulaye Miskine qui ne relevait pas de l’armée régulière et qui rendait des comptes directement au président, la SCPS (la Société centrafricaine de protection et de surveillance), le groupe de sécurité présidentielle connu sous le nom d’Unité de sécurité présidentielle (USP), des forces libyennes ainsi que des troupes issues du regroupement régional de 21 pays, la Communauté des États sahélo-sahariens, le CEN-SAD ainsi que groupes militaires ethniques et des rebelles menés par M. Bozizé.
La plupart des témoins du procès Bemba se sont présentés à la barre avec une protection de leurs identités afin de les protéger d’éventuelles représailles. Jusqu’à six anciens membres du groupe dirigé par l’accusé ont apporté la totalité de leur témoignage à huis clos.

Feuilleton judiciaire à rebondissements
Le 24 mai 2008, le sénateur Jean-Pierre Bemba est arrêté à Bruxelles. Son arrestation est consécutive à un mandat d’arrêt de la chambre préliminaire III de la CPI délivré sous scellé la veille de son arrestation. Le 10 juin 2008, alors qu’il est déjà détenu par les autorités belges, la CPI émet un nouveau mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba en remplacement de celui émis le 23 mai 2008.
Le 10 juin 2008, la CPI demande à la Belgique de transférer Jean-Pierre Bemba à La Haye. Ce transfèrement a lieu le 3 juillet 2008 au centre pénitentiaire de Scheveningen. Et ce, malgré les tentatives des avocats de Jean-Pierre Bemba d’obtenir la liberté provisoire de leur client. L’affaire a même été portée, sans succès, devant la cour de cassation belge (la plus haute juridiction dans le système judiciaire belge).
Jean-Pierre Bemba va comparaître pour la première fois le 4 juillet 2009. Des audiences dites de confirmation des charges vont avoir lieu du 12 au 15 janvier 2009. Elles ont pour but de déterminer si les charges retenues contre Jean-Pierre Bemba sont suffisantes pour donner lieu à un procès. Juin 2009, les juges confirment les charges qui pèsent contre Jean-Pierre Bemba. En même temps, ils demandent au Procureur Moreno de requalifier les charges et que Jean-Pierre Bemba soit inculpé comme supérieur militaire hiérarchique.
Trois demandes successives de demande de liberté provisoire de Jean-Pierre Bemba seront rejetées. Le 14 août 2009, la Cour décide de rendre la liberté provisoire à Jean-Pierre Bemba sous réserve d’acceptation d’être reçu dans un Etat-partie du statut de Rome. Pendant ce temps, il reste en détention. Entre temps, le procureur Moreno fait appel. Sept Etats sont sollicités pour accueillir Jean-Pierre Bemba : la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Pays Bas, le Portugal, et l’Afrique du Sud. Tous ces Etats demandent un délai supplémentaire pour examiner la requête.
Le 3 septembre 2009, la Cour accorde un effet suspensif à l’appel du procureur contre « la mise en liberté sous condition » de Jean-Pierre Bemba Gombo. En clair, l’ancien vice-président congolais reste en prison. Les juges de la CPI examinent les arguments du procureur Moreno et maintiennent l’accusé en détention. En attendant de rendre un jugement sur cette liberté provisoire.
Jean-Pierre Bemba connaît aussi des déboires financiers. La Cour ne le juge pas indigent et par conséquent ne prend pas en charge les honoraires de ses avocats. Ceux-ci ne sont pas payés depuis le déclenchement de l’affaire. Début octobre, deux de quatre avocats de Bemba le quittent. Pierre Legros, de nationalité belge, pense que le collectif est suffisamment complet même sans lui. Karim Khan ne cache pas qu’il claque la porte faute d’avoir perçu ses honoraires. Aimé Kilolo et Nkwebe Liriss restent aux cotés de Jean-Pierre Bemba. Me Nkwebe Liriss va mourir le 26 février 2012, des suites d’une longue maladie. Il est le conseil principal de Jean-Pierre Bemba qui l’avait choisi pour diriger l’équipe de Défense depuis le 30 juillet 2008.
Fixée au 27 avril 2010, l’ouverture du procès est plusieurs fois reportée, avant de s’ouvrir effectivement le 22 novembre 2010.

14 affaires en cours
Jusqu’à présent, 14 affaires sont en cours devant la CPI, dont quatre en phase de procès. Sept enquêtes ont été ouvertes dans le contexte des situations en Ouganda, République démocratique du Congo, République centrafricaine, Darfour (Soudan), Kenya, Libye et en Côte d’Ivoire.
Outre le procès de M. Bemba, deux autres personnalités congolaises sont détenues à la CPI : Mathieu Mathieu Ngudjolo Chui, présumé ancien dirigeant du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) et colonel de l’armée nationale du Gouvernement de la RDC (FARDC), a été arrêté par les autorités congolaises le 3 février 2008 et remis à la Cour pénale internationale. Il doit répondre de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre visés aux articles 7 et 8 du Statut, commis sur le territoire de la République démocratique du Congo depuis juillet 2002.
La deuxième personnalité est Germain Katanga. Commandant présumé de la FRPI, il a été remis par les autorités congolaises à la Cour pénale internationale le 17 octobre 2007 et transféré au siège de celle-ci. Il est poursuivi, en tant que coauteur, pour des crimes qui auraient été commis au cours de l’attaque menée de concert par le FNI et la FRPI contre le village de Bogoro, le 24 février 2003 ou vers cette date. Il a été arrêté le 10 mars 2005. Sept chefs d’accusation de crimes de guerre pèsent contre lui : utilisation d’enfants de moins de quinze ans pour prendre une part active à des hostilités, attaques dirigée contre des civils, homicide volontaire, destruction de propriété, pillage, esclavage sexuel, et viol, et trois chefs d’accusation de crimes contre l’humanité : meurtre, viol, et esclavage sexuel qui auraient été commis à Bogoro, village de la province de l’Ituri à l’est de la RDC, de janvier à mars 2003.
Thomas Lubanga Dyilo, président de l’Union des patriotes congolais (UPC) avec pour branche militaire, la Force patriotique pour la libération du Congo (FPLC), quant à lui, attend sa sentence après que la Cour l’a reconnu coupable le 14 mars 2012, d’avoir enrôlé des enfants et de s’être servi d’eux comme des soldats dans les guerres qui ont sévi dans l’est de la RDC du 1er septembre 2002 au 13 août 2003.
Kléber Kungu

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