samedi 27 octobre 2012

Qui en veut au Dr Denis Mukwege ?

Tentative d’assassinat du directeur de l’hôpital de Panzi Qui en veut au Dr Denis Mukwege ?
Dans la soirée du 25 octobre vers 19h00, cinq hommes armés et en tenue civile s’introduisent dans la maison du Dr Denis Mukwege à Bukavu. Armes à la main, ils obligent deux des filles du Dr Mukwege et leur amie qui était avec elles, à garder silence jusqu’au retour de leur papa qui vient de sortir pour accompagner les visiteurs. Aussitôt de retour, soit une demi-heure plus tard, c’est l’un des hommes armés qui ouvre la porte, les sentinelles étant déjà maitrisées. Les bandits vont ensuite forcer le médecin à sortir du véhicule. Le domestique en service qui n’est pas maitrisé, Joseph Bizimana, par ces bandits accourt en criant pour tenter d’alerter les voisins. Il est abattu à bout portant par ces hommes armés qui se mettent à tirer d’autres balles. Le Dr Mukwege se jette au sol en évitant de justesse ces balles. Les bandits vont alors s’enfuir à bord du véhicule du Dr Mukwege, avant de l’abandonner très loin de sa résidence. Le Dr Denis Mukwege vient ainsi d’échapper de justesse à une deuxième tentative d’assassinat après celle d’il y a 16 ans… C’est avec beaucoup de peine, de compassion, de tristesse, de remords que beaucoup de Congolais ont suivi ce qui venait d’arriver au gynécologue de renommée internationale. Il a fallu qu’un de ses gardiens paie de sa vie pour que celle du Dr Denis Mukwege soit sauve. Pour la deuxième fois, après une autre tentative d’assassinat 16 ans plus tôt. Qui en a voulu à cet homme qui a choisi, comme une petite poignée de ses collègues, de servir une catégorie spéciale de patientes : les victimes de violences sexuelles et pathologies gynécologiques ? Pourquoi ? Qu’en était-il advenu aux nombreuses femmes si celui qui leur rend encore la joie de vivre venait de les quitter brutalement ? Le gynécologue congolais réputé Denis Mukwege, mondialement reconnu pour son aide aux femmes violées a failli passer de vie à trépas la nuit de jeudi 25 octobre n’eût été l’intervention de Dieu. Trois questions fondamentales restent collées sur les lèvres de bien de ses Congolais : qui en veut à ce médecin qui ne fait que rendre service à des milliers de femmes victimes de violences et autres pathologies gynécologies ? Pourquoi ? Et si le plan machiavélique de cet escadron de la mort – cinq ou quatre en tout selon les sources - s’était concrétisé, que seraient devenues toutes ces milliers de femmes qui trouvent en Denis Mukwenge l’homme qui leur permet de trouver encore les raisons de continuer de vivre ? Si Dr Denis Mukwege est sorti indemne de cette tentative, son moral est cependant fortement ébranlé. Soucieux de se poser sans doute les mêmes questions. C’est pour cette raison, avons-nous appris, que le médecin a préféré rester chez lui, « abandonnant » vendredi 26 octobre, ses patients, préférant réfléchir sur ce qui lui était arrivé. Pour quel motif des malfrats doivent-ils chercher à éliminer un homme qui a décidé de secourir celles de ses compatriotes qui sont violées par leurs propres frères et d’autres rebelles étrangers ? Est-ce pour des raisons financières ? Avaient-ils besoin de l’argent ? Pas certain. Est-ce M. Mukwege attire beaucoup de haine en raison de son statut d’interlocuteur valable de la communauté internationale dans tout ce qui se passe dans cette région ? Ou voulaient-ils tout simplement mettre fin à la fin du directeur de l’hôpital de Panzi ? Ont-ils opéré de leur propre chef ou avaient-ils reçu l’ordre d’une autre personne ? Si oui, qui et pour quel motif ce commanditaire en voulait à la vie de ce médecin, l’un des rares que compte la RDC, dans un milieu traînant la mauvaise réputation de se singulariser par des viols ? Est-ce en représailles au dernier discours que le fondateur de la Fondation Panzi a tenu le 25 septembre au siège des Nations unies (voir ce discours) ? Dans un discours plaidoyer, le docteur Denis Mukwege a sollicité une action urgente auprès de l’Onu pour arrêter et traduire en justice tous les responsables des crimes internationaux commis en République démocratique du Congo (RDC). Si le plan machiavélique des bandits avait réussi, que seraient devenues aujourd’hui les milliers de femmes violées qui ont trouvé en Denis Mukwege plus qu’un médecin, un sauveur ? Comme des enfants dont on aurait enlevé le papa, les femmes de Panzi, orphelines de leur Mukwege, seraient plongées dans la désolation la plus totale. Ces femmes qui, en raison de l’opprobre subi par le viol, n’ont plus trouvé de raison de continuer de vivre. 1 961 femmes victimes de violences sexuelles en 10 mois Lorsque nous avons posé la question à la chargée de la communication des médias de l’hôpital général de référence de Panzi, Colette Salima, pour connaître l’effectif actuel des femmes victimes de violences sexuelles et pathologies gynécologiques, elle nous a répondu que le nombre va croissant chaque jour. Aussi, à ce jour, le nombre de patientes internées à l’HGR de Panzi s’élève à …1 961, dont 1 741 durant les neuf premiers mois de cette année et 220 pour le seul mois d’octobre. Soit une moyenne d’environ 20 femmes violées par mois. Triste record ! Cependant, selon la même source, il y a environ entre 56 et 57% des femmes victimes de violences sexuelles contre 44 et 43% pour celles victimes de pathologies gynécologiques. Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de la paix, le docteur Denis Makwege, 57 ans, a créé l'hôpital et la fondation Panzi, à Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, pour venir en aide aux milliers de femmes violées dans l'est de la RDC par des groupes armés locaux et étrangers, ainsi que par certains soldats de l'armée. Il voyage régulièrement pour expliquer le calvaire de ces victimes. Lui et son équipe ont soigné plus de 30.000 victimes de viols, ces 10 dernières années. Chaque année, le programme de lutte contre les violences sexuelles, le plus important de l'hôpital, reçoit 3 000 femmes. Ce projet est financé à hauteur de 1,2 million d'euros par an. Les fonds proviennent de PMU, un organisme religieux suédois et surtout de la Commission européenne, qui donne environ 900.000 euros, selon Ephrem Bisimwa. Les activités du gynécologue lui ont valu plusieurs nominations pour le prix Nobel de la paix. Il a notamment reçu le prix de l'Onu pour les droits humains et le prix du roi Baudouin pour le développement international. Condamnations, soutien, solidarité et sympathies Au lendemain de cette tentative, plusieurs personnalités du monde politique et scientifique ont élevé leur voix pour condamner cet acte odieux perpétué contre un homme qui sauve la vie de beaucoup de femmes en détresse. Plusieurs messages de soutien, de solidarité et de sympathie ne cessent de parvenir au docteur Denis Mukwege et son équipe. A Bruxelles, le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, a condamné l'attaque qu'il a apprise "avec horreur". "La violence sexuelle est inacceptable. Le fait que par cette attaque, on ait tenté de bâillonner ce médecin afin que les auteurs puissent continuer sans être dérangés à terroriser la population ne peut pas non plus être toléré", affirme le ministre belge dans un communiqué. Aussi le chef de la diplomatie belge a-t-il appelé "les autorités congolaises à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la sécurité du Dr Mukwege, pour rapidement présenter les auteurs de cette attaque à la justice et à ne pas fermer les yeux face à l'indicible souffrance de la population". "Cette attaque montre à nouveau combien il est urgent que l'état de droit soit restauré dans l'est de la RDC", a-t-il conclu. La lauréate du prix Nobel de la paix Leymah Gbowee a, quant à elle, déclaré : « le docteur Mukwege incarne la force des femmes congolaises qui ne cèdent jamais face à cette violence gratuite. Je m'associe à la Campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit, et à d'autres, pour appeler la République démocratique du Congo à traduire les auteurs de cette attaque devant la justice. » « La tentative d'assassinat sur le docteur Mukwege et le meurtre de son garde de sécurité soulignent une fois encore le caractère gravissime de la situation dans l'Est du Congo. L'un des plus grands hommes au monde a failli être assassiné ce soir. Nous ne pouvons pas laisser cela continuer » s'est indignée Eve Ensler, auteure dramatique, fondatrice de V-Day et membre de la Campagne. La Fondation Roi Baudouin a appelé directement à la protection du docteur Mukwege. « La Fondation Roi Baudouin a appris avec effroi la tentative d’assassinat jeudi soir sur la personne du Dr Denis Mukwege, lauréat 2011 du Prix Roi Baudouin », a fait savoir l'organisation par un communiqué. « Plus que jamais, le Dr Denis Mukwege a besoin de protection. La Fondation en appelle à la responsabilité des autorités congolaises et des partenaires internationaux de la RDC pour garantir la sécurité du Dr Mukwege et de sa famille », a également déclaré la Fondation dans ce même communiqué. Que dire de ces témoignages de soutien, de solidarité et de sympathie de la part de ces femmes violées avec lesquelles le gynécologue a formé la famille ? « Beaucoup de témoignages de solidarité ce matin, son habitation est prise d'assaut, tout Bukavu semble s' y être donné rendez-vous, j' y ai rencontré des patientes de l'hôpital qui ont marché jusque chez lui me disant qu'elles allaient elles-mêmes assurer sa sécurité, d'autres par terre en larmes, moment d'émotions intenses, un grand homme notre docteur! Je suis très en colère contre la Monusco, nous sommes voisins de leur quartier général...lorsque nous les avons appelés et qu'ils ont su qu'il s'agissait de Dr Mukwege, on nous a conseillé d'appeler la police congolaise !!!!!" » a déclaré Christine Deschryver sur sa page Facebook. Aux dernières nouvelles, nous apprenons que le docteur Denis Mukwege et sa famille auraient été évacués par un avion de la Monusco pour une destination non précise. Qui est Denis Mukwege Fils d'un pasteur protestant, Denis Mukwege va décrocher son diplôme de médecin en 1983 à la faculté de médecine au Burundi où il va s’inscrire en 1976, après deux années passées à l'Unikin à la faculté de polytechnique, des études primaires à l'Athénée royal de Bukavu et secondaires à l'institut Bwindi de Bukavu où il obtient un diplôme en biochimie en 1974. Son diplôme de médecin en poche en 1983, il fera ses premiers pas professionnels à l'hôpital de Lémera au sud de Bukavu. En 1984, il obtint une bourse pour se spécialiser en gynécologie à l'université d'Angers en France. Malgré un travail bien rémunéré en France, en 1989, il choisit de retourner au pays pour s'occuper de l'hôpital de Lemera dont il devint médecin directeur. Le salaire de misère ne l’empêche pas d’y passer des années heureuses où il aide de milliers de femmes stériles à connaître la joie de la maternité (pour l'anecdote, en reconnaissance de son art, des centaines de femmes ont donné à leurs enfants le prénom de Denis). Cette période heureuse sera brutalement interrompue avec l'arrivée de la première guerre de libération en 1996 où l'hôpital sera sauvagement détruit. Plusieurs malades et infirmiers seront sauvagement tués, le Dr Denis Mukwege s'en sortira miraculeusement. Il va se réfugier à Nairobi, avant de retourner dans son pays. Avec l'aide du PMU (organisme caritatif suédois), il y fonde l'hôpital de Panzi où il va découvrir une pathologie nouvelle qui va profondément marquer le restant de sa carrière : la destruction volontaire et planifiée des organes génitaux des femmes. Il fait connaître au monde la barbarie sexuelle dont les femmes sont victimes à l'Est du Congo où le viol collectif est utilisé comme arme de guerre. Pour faire face à cette épidémie volontaire, Il s'est spécialisé dans la prise en charge des femmes victimes de viols collectifs. Cette prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles est holistique. Elle concerne les domaines tant physique, psychique, économique que juridique. Sur le plan médical, il est reconnu comme l'un des spécialistes mondiaux du traitement des fistules. C'est à ce titre qu'il a reçu un doctorat honoris causa de l'université d'Umea (Suède) en octobre 2010. Au cours de la même année, il a reçu la médaille Valemeberg de l'université du Michigan. Le Dr Denis Mukwege a reçu de nombreux prix pour récompenser son service extraordinaire, son dévouement et son engagement pour l’humanité, spécialement pour les femmes violées de l’Est de la RDC. En 2008, l’Onu lui octroie le prix Olof Palme et le prix des droits de l'homme. En 2009, il a obtenu le prix français de droit de l'homme. Il a aussi été fait chevalier de la Légion d'honneur française. Dans la même année, il sera élu Africain de l'année par une association de presse africaine. En 2010, il a obtenu le prix Van Goedart en Hollande. En Belgique en 2011, il a reçu successivement trois prix : le prix Jean-Rey, le prix Roi Baudouin et le prix de paix de la ville d'Ypres lui sera remis en novembre 2011. Il a également reçu le prix Clinton Global Citizen…. Donc, devant ce tableau éloquent sur la vie de cet illustre médecin, Denis Mukwege n’est pas n’importe qui. En un mot comme en mille, il est la fierté de la RDC. Pour cela, les autorités congolaise ont l’obligation d’assurer protection à lui-même et à sa famille. Kléber Kungu

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