mardi 3 avril 2012

Une fille malade du Sida : « Est-ce que je l’air d’être malade ?


Défilé de mode des femmes vivant avec VIH/Sida
Une fille malade du Sida : « Est-ce que je l’air d’être malade ?
« Est-ce que je l’air d’être malade ? Non ! C’est une jeune jolie fille vivant avec le VIH/sida qui pose cette question à la salle pleine comme un œuf. Celle-ci, comme un seul homme répond : « Non ! ». Il est 18 heures 30. La petite salle de réunions du Centre Nganda et ses nombreux invités piaffent d’impatience. Une patience qui dure déjà depuis une demi-heure : aucune femme vivant avec le VIH n’est visible pour le défilé de mode organisé par Médecins Sans Frontières (MSF), en collaboration avec l’Amicale des stylistes de Kinshasa (Amsty), Médecins du monde (MDM) et le Réseau national des organisations d’assise communautaire des PVV (RNOAC). MSF a pris toutes les dispositions pour faire passer les messages : le gros de son personnel sur place porte des tee-shirts noirs frappés de deux messages en blanc « Ne baissons pas les bras en 2012 ! (dos) et « VIH/Sida en RDC, l’urgence ignorée » (devant).
Notre patience va prendre fin 22 minutes plus tard lorsque les organisateurs annoncent le début de ce qui paraît un événement inédit : le défilé de mode des femmes vivant avec le VIH. ‘’Un défilé de mode pas comme les autres’’, a prévenu les organisateurs. Pour mieux faire, les organisateurs ont couplé ce défile de mode aux témoignages poignants.
Lorsque la première fille apparaît au bout de la piste, j’ai de la peine à me rendre à l’évidence : en live une PVV. Rien en elle, ni de ses gestes, n’accuse l’état malade de cette jolie fille. Je lui donne une vingtaine d’années. Lorsqu’elle lance ses dix premiers pas, qu’elle prend soin d’embellir par des éclats de sourire qui ne la quittent pas durant tout le défilé et des gestes de mannequin comme on en voit lors de nombreux défilés de mode, la salle explose de joie qu’elle manifeste par des applaudissements rythmés sur la cadence de la chanson qui accompagne les pas.
Durant près d’une demi-heure, toutes de rouge vêtues, les femmes (femmes et filles) vont défiler au cours d’une première phase du défilé de mode. A la satisfaction de la salle qui ne se lasse pas de les applaudir et de les acclamer frénétiquement. Belles, jolies, toutes souriantes, de toutes les tailles (des grandes, des sveltes, des moyennes), de toutes les grosseurs (des minces, des corpulentes, des élancées), les femmes vivant avec VIH défilent avec des gestuelles qui donnent au défilé une couleur et une chaleur festives.
Toutes gaies, sympathiques, souriantes, ouvertes, éveillées, vives, intelligentes, elles sont cela à la fois. Elles sont une douzaine, celles que je peux appeler des mannequins du VIH. Devant des caméras et des photographies, elles n’ont pas honte de se faire filmer ou photographier. Devant des invités extasiés, elles n’hésitent pas de montrer qu’elles sont des malades comme toutes les autres : quelques secondes d’arrêt ici, là, exhibant un beau corps, le regard bien ouvert, fixant droit les invités. Cela suffit pour arracher des salves d’applaudissements et des cris de joie…
Un défilé conclu par des messages. Chacun lance à la communauté nationale et internationale représentée par de nombreux responsables des ONG ayant la charge la lutte contre le VIH/Sida, un message qui fait le panégyrique des antirétroviraux (ARV) grâce auxquels elles se portent très bien. Et pourtant, elles vivent avec le VIH depuis plusieurs années (de 3 ans à 14 ans de cohabitation avec la maladie).
« Je vis depuis 5 ans avec le VIH. Avec les ARV que je prends, je suis en bonne santé. Nous avons droit à la vie »í, lance l’une d’elles.
Et lorsqu’une autre apparaît pour effectuer le défilé, la salle vibre de cris de joie et d’applaudissements. C’est une grosse femme, bien potelée, qui n’a rien d’une PVV. La tradition voulant qu’une PVV n’ait que les os sur la chair, celle-ci est corpulente ! Elle va défiler en se déhanchant, se dandinant joyeusement…Quelqu’un dans la salle baffe d’envie : « Yoka nzoto ! » (Quel beau corps !, NDLR)
19h30 : Fin de la première partie du défilé de mode. La salle applaudit frénétiquement. Intervient une courte vidéo ‘’La lutte continue’’ dont la fin est bruyamment applaudie par l’assistance. La vidéo, tournée au Centre de Kabinda, raconte le long chemin d’une femme vivant avec le VIH qui sera au courant de cette triste réalité après avoir fait un test de dépistage. Elle a souffert car, faute d’argent, elle n’a pas pu accéder aux ARV dont elle avait besoin. « Que le gouvernement congolais et ses nombreux partenaires disponibilisent les ARV pour aider les malades du Sida de s’en procurer ».
Les « mannequin » vont récidiver à la seconde partie du défilé de mode. Troquant le la tenue rouge en tissu de femme contre d’autres tenues multicolores, les femmes vivant avec le VIH/Sida vont défiler avec le même courage, la même détermination de vivre comme les autres malades. Une autre va pousser son courage jusqu’à porter une voile comme…une mariée. Un message tacitement très clair : elle a droit à la vie comme tous les autres humains de la Terre.

Cri du cœur des PVV
Au-delà du côté du défilé, c’est le cri du cœur des organisateurs auprès de tous ceux qui détiennent le pouvoir financier en les appelant à continuer à aider ces femmes à bien vivre leur vie. Ce sont les messages de ces femmes appelant la communauté à bannir la stigmatisation et la discrimination stéréotypée qu’elle leur colle en raison de leur maladie. C’est aussi les appels pathétiques de plusieurs centaines de malades à la communauté internationale, aux bailleurs de fonds, aux autorités congolaises ainsi qu’à tous les acteurs de santé de ne pas les abandonner. Ainsi que le cri de cœur de certaines ONG impliquées dans la lutte, en l’occurrence l’Union congolaise des organisations des personnes vivant avec le VIH (Ucop+) par la voix de sa secrétaire exécutive.
En janvier, Médecins Sans Frontières (MSF) a lancé une campagne « VIH/Sida en RDC : l'urgence ignorée » pour éveiller l’attention de la communauté internationale, de tous les bailleurs de fonds, du gouverneur congolais, des acteurs de santé ainsi que la communauté congolaise sur la crise humanitaire liée au VIH/Sida en RDC.
Le Dr Anja De Weggheleire, coordinatrice médicale de MSF est revenu en charge. « On estime aujourd’hui à 1,32 million le nombre de personnes vivant avec le VIH/Sida en RDC dont 350 000 qui ont besoin du traitement en ARV [antirétroviraux, NDLR] aujourd’hui, mais seulement 50 000 ayant accès au traitement, donc une couverture sanitaire de 15% seulement. A cela s’ajoute le retrait de l’engagement de certains bailleurs dans le traitement en ARV des PVV », annonce-t-elle.
« Chers représentants des bailleurs de fonds et du gouvernement de la RDC, nous malades du Sida, nous avons encore besoin de votre appui. Notre chance de survie dépend de votre engagement à soutenir les efforts de lutte contre le VIH/Sida », plaide Françoise Kahindo Kaiti, secrétaire exécutive de l’Ucop+, sous les applaudissements de la salle.
La conseillère à la prévention du Centre Bomoyi Bua Sika (BBS) qui accueille et accompagne les enfants de la rue vivant avec le VIH/Sida, pour sa part, va plaider en faveur de cette catégorie de PVV. « Nous demandons d’avoir un regard bienveillant sur les enfants de la rue vivant avec le VIH/Sida et toutes les personnes séropositives car elles ont droit à la vie », implore-t-elle.
L’intervention, mieux le plaidoyer de Clarisse Mawika, superviseur des activités de du Réseau national des organisations d'assise communautaires des PVV (RNOAC) sera très poignant. « Nous demandons aux bailleurs de fonds de se réengager dans notre pays. Nous sommes conscients que la crise mondiale met les Etats et l’effort mondial dans une situation de réduction d’efforts, mais nous venons pour leur confirmer que la situation est très grave en RDC. Nous leur demandons de considérer notre pays comme une priorité. La communauté doit savoir que l’heure est très grave, non seulement pour ceux qui sont infectés, mais pour nos enfants, nos jeunes qui sont beaucoup plus exposés par manque d’informations claires.
Il ne faut pas plus pour que la voix, le cri du cœur des uns et des autres puissent porter loin, très loin, jusqu’aux oreilles des destinataires des messages. Pour que le cœur sensible réagisse en faveur des centaines de milliers de femmes et des hommes PVV en détresse. Qui ont besoin d’espérer encore avec ce défilé de mode pas comme les autres…
Kléber Kungu

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