Vendredi 5 août
Au contact des cholériques de Maluku et de Kingabwa
24 heures après le café de presse sur la situation des épidémies en RDC, un groupe de journalistes a visité deux sites de Kinshasa où sont soignés les malades de choléra –les cholériques : le Centre de traitement du choléra (CTC) de Maluku, à 80 km à l’Est de Kinshasa et celui de Kingabwa, un des quartiers de la commune de Limete. Ici et là, nous étions en contact des malades – en tout, une vingtaine. Si leur physique est touché, leur moral, par contre, est haut : leur prise en charge par des ONG – Coopi (Cooperazione internazionale) et Unicef (à Maluku) et Médecins sans Frontières (à Kingabwa), du reste gratuite, est si assurée qu’ils n’ont aucun souci. Grâce au Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha), nous avons découvert un autre monde le vendredi 5 août caractérisé par une observance stricte des règles d’hygiène à chaque instant, aussi bien par les malades, les membres du staff que par les visiteurs. Nous vous le faisons découvrir.
Après environ une heure de route, nous atteignons Maluku. C’est le docteur Charles Kalambayi Baleja, coordinateur médical Coopi, chargé du Projet d’urgence de la lutte contre le choléra, qui nous accueille. Arborant un polo blanc frappé de « Unicef » et « de Coopi », il est rassurant, face à la crainte de certains journalistes de faire leur dernier voyage à Maluku, le spectre du choléra étant manifeste. « Ne vous en faites pas. Toutes les dispositions sont prises. Voyez, nous n’avons pas de choléra ».
C’est en réalité dans une sorte de camp constitué de tentes frappées de « Unicef » que Dr Charles Kalambayi, accompagné de quelques membres de son staff, nous invite à visiter. Auparavant, comme à toute personne qui pénètre dans une zone dangereuse, il dicte les dispositions hygiéniques et ‘’sécuritaires’’ à suivre : à l’entrée et à la sortie de chaque zone ou pavillon, les visiteurs sont obligés de se laver les mains, de se faire pulvériser le dessous des chaussures à l’eau chlorée, après avoir marché sur le pédiluve (bac) contenant également de l’eau chlorée planté à chaque entrée. Je commets ma première faute et notre guide me rappelle à l’ordre. Alors que je dois me laver les mains, mon calepin sous l’aisselle, je place mon stylo à bille entre les lèvres. « Ne portez jamais quelque chose de la main à la bouche », me conseille le guide.
Nous visitons successivement la salle de tri, une sorte de réception où, une fois ici, les malades sont triés selon trois plans A, B et C dont dépend leur état de santé ou degré de maladie, de déshydratation (les plus graves sont acheminés dans C d’où ils sortent pour le B après 3 heures avant d’atteindre le A). Les trois plans sont dans la zone Isolement. On ne trouve qu’une seule malade au plan A, une voyageuse en provenance de Kwammouth pour Kinshasa, en voie de sortie. Mme Peko Bokungu, 33 ans, du village Ndombe, qui y est internée depuis 4 jours, nous raconte comment a commencé. Elle a cru, faute d’information, qu’elle souffrait de l’amibiase, avec beaucoup de diarrhée. Elle a déclaré avoir fait 5 jours de traitements individuels avant de se présenter au CTC de Maluku. Et pourtant, au cours de son voyage, on interdisait aux voyageurs de boire l’eau contaminée du fleuve et de ses affluents par, selon l’opinion, la diarrhée rouge.
La malade nous déclare que Kwammouth doit compter à ce jour beaucoup de malades, étant donné la grande ignorance de ses habitants sur le choléra. Et le Dr Charles Kalambayi nous informe que les 20 derniers malades sont des voyageurs venus du Bandundu et de l’Equateur.
De là, nous nous dirigeons à l’endroit où tout le monde est obligé de terminer sa course terrestre : la morgue, avec une capacité de 3 corps. Les journalistes sont presque étonnés de voir une morgue. Et pourtant c’est l’évidence. En effet, depuis l’installation du CTS de Maluku le 11 juillet, alors que l’épidémie a commencé le 13 juin, il y a déjà eu 85 cas, contre 6 décès, tous n’étant pas morts au CTS. Ici, nous annonce le Dr Charles Kalambayi, le principe est sacré : le mort ne sort plus jamais par la porte d’entrée.
Par la suite, notre guide nous montre l’endroit où sera érigée une tente de convalescence pour accueillir les malades en instance de sortie. Nous voici devant la salle de lavage des malades où des filles. Lorsque nous arrivons au point de gestion des déchets liquides et solides, mes confrères se mettent un plus loin, de peur de sortir de cet endroit avec ce qu’ils redoutent le plus. Le coordinateur médical Coopi, chargé du Projet d’urgence de la lutte contre le choléra nous rassure de nouveau : il n’y a rien à craindre…
Nous visitons aussi les latrines. Mes confrères observent les mêmes précautions. Fini un peu la peur lorsque nous visitons les différents dépôts de médicaments et autres intrants (chlore), les douches, le bureau administratif. Comme si le choléra ne franchit pas ces barrières…
Coopi travaille avec l’Unicef qui le finance. Cette ONG internationale se charge de la prise en charge des malades, alors que d’autres ONG comme Solidarités et la Croix-Rouge s’occupent de la sensibilisation de la population et de désinfection des bateaux en provenance des zones contaminées.
Salutations au coude au CTC de Kingabwa
Immédiatement, après le CTC Maluku, nous sommes au CTC de Kingabwa. Où nous sommes accueillis par Rodin Meldrun, de MSF, qui ne perd aucune seconde pour nous dicter les règles d’hygiène de base à observer dans son CTC. « Les choses qui touchent le sol doivent être désinfectées », dicte-t-il, arborant une sorte de gilet frappé d’insignes de MSF. « Pour le premier tour de salle, pas de caméra, pas de photo », ajoute-t-il.
Ici, toutes les dispositions nécessaires sont prises pour éviter d’attraper le choléra : l’on se salue, non les paumes de main, mais par des coudes. Les deux bras pliés se saluent au moyen des coudes pliés.
C’est le Dr Olivier Mongana, responsable de la prise en charge au CTC de Kingabwa, qui assure la visite guidée. Suivi de tout le staff de MSF, dont Patient Ligodi, le chargé de la communication.
Ici, il y a deux entrées : l’entrée du staff et celle des visiteurs. Comme au CTC de Maluku, ce sont les mêmes règles hygiéniques qui nous guident dans ce CTC de 4 blocs : Zone neutre, réception ou triage, hospitalisation et convalescence.
Les malades du CTC de Kingabwa viennent des zones de santé de toutes les communes de Kinshasa, principalement de la commune Limete, quartier qui porte le nom du CTC, de Kimbanseke (quartier Kingasani), de Masina 1 et 2, et sont observés pendant 6 heures. La fréquence d’arrivée de malades est de 8 patients par jour
A la salle d’observation, nous rencontrons deux malades : un bébé et une jeune fille. Dans la salle d’hospitalisation (isolement), qui comporte deux salles, nous rencontrons une dizaine de patients : enfants, femmes et hommes. En pleine réhydratation. Tandis qu’à la convalescence, il y a 5 patients. Au 5 août, la capacité d’accueil est 39 lits, avec une prévision de 50 lits.
Nous faisons la visite avec une discipline : ne suivre que les couloirs de cailloux aménagés dans l’enceinte du CTC.
Le CTC de Kingabwa, qui existe depuis le 23 juillet, couvre toute la ville de Kinshasa avec ses 35 zones de santé. A ce jour, il a déjà reçu 158 cas, contre 4 cas de décès.
C’est Médecins Sans Frontières (MSF), une organisation médicale humanitaire internationale, avec le ministère de la Santé, qui intervient dans la prise en charge des malades.
Pour Robin Meldrum, chargé de communication au MSF, le risque reste élevé quant à la propagation de l’épidémie à Kinshasa (précarité, promiscuité…), bien que la prise en charge soit bien assurée. Il a relevé des lacunes dans les réponses globales à donner à la problématique de choléra car, déplore-t-il, les réponses ne se font pas à 100% à Kinshasa et le long du fleuve Congo. Il ajoute que les intrants de base, notamment le SRO, le chlore, ne sont pas disponibles dans les structures de l’ouest du pays. Il souhaite également la formation du personnel médical pour bien assurer la prise en charge. Tous les partenaires impliqués dans la lutte contre le choléra, le ministère de la Santé en tête, sont appelés à bien conjuguer leurs efforts dans ce combat.
Robin Meldrum et moi nous séparons par la salutation au coude. Convaincus que chacun quitte l’autre sans se faire contaminer.
La grande crainte à avoir devant le choléra est de ne pas observer les règles qui luttent contre cette épidémie. C’est ce que le Dr Charles Kalambayi nous répète pratiquement au cours de cette visite guidée. « Nous, on se lave les mains même pendant mille fois », a-t-il déclaré. Comment ne pas prendre ces précautions qui ne coûtent presque rien lorsque le choléra est comparé à une bombe. « Nous sommes comme assis sur la mine [prête d’exploser à tout moment, NDLR] », a lâché ce jeune médecin. C’est pourquoi, pour éviter que cette bombe explose et emporte ceux qui luttent contre elle, tout est mis et tout se fait comme une montre suisse.
Les règles d’hygiène de base sont suivies à la lettre et que la visite d’un CTC est un circuit où l’on ne sort pas par où on entre et qu’à chaque étape, le respect scrupuleux de ces règles est de rigueur : lavage des mains, trempage et pulvérisation des chaussures à l’eau chlorée.
Se laver régulièrement les mains avec du savon, après les selles, bouillir l’eau à boire ou la désinfecter avec de l’eau de Javel… Bref, faire de sa propreté et de celle de son environnement une préoccupation majeure, voilà la culture que les Congolais doivent désormais intérioriser dans leurs pratiques quotidiennes. Comme on dit, les conséquences enseignent mieux que les conseils, les deux malades interrogées aux CTC de Maluku et de Kingabwa, mesdames Peko Bokungu et Pélagie, ne jurent que par l’observance stricte des règles d’hygiène à la sortie des CTC, notamment : bouillir l’eau avant de la boire, se laver les mains avec du savon après les selles, chauffer la nourriture avant de la consommer, bouillir les habits… Le gouvernement congolais doit accompagner ses administrés dans cette voie dont dépend largement leur vie.
Kléber Kungu
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