mardi 2 avril 2013

De Nkunda- Ntaganda à Runiga-Makenga : même schéma, même scénario

Crise dans l’Est de la RDC De Nkunda- Ntaganda à Runiga-Makenga : même schéma, même scénario Ce qui se passe actuellement dans la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC), précisément dans la province du Nord-Kivu, est, sans contexte, ce qui peut être qualifié de « rien de nouveau sous le soleil ». Ceux qui ont la mémoire longue se rappellent que le schéma et le scénario qui avaient prévalu en 2009 avec le feuilleton du pasteur-militaire Laurent Nkundabatware qui combattait l’armée congolaise ressemble beaucoup à ce qui se passe actuellement avec le pasteur-bishop Jean-Marie Runiga, Sultani Makenga. A quelques différences de circonstance et de contexte près … Au début était Laurent Nkunda, chef militaire de la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Qui va être durant plusieurs années la pièce maîtresse dans la guerre qui va endeuiller le Nord-Kivu. En 1998, Nkunda devient l'un des commandants du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), une rébellion soutenue par Kigali pendant le conflit régional qui secoue la RDC 2003. Après la guerre, alors que le RCD intègre le gouvernement de coalition à Kinshasa, Nkunda est promu général, mais refuse de prendre son poste, dénonçant une réforme de l'armée fantaisiste ne permettant pas "la réconciliation nationale" promise. " Après les élections de 2006 en République démocratique du Congo (RDC), Laurent Nkunda tente une nouvelle fois de déstabiliser l'Est de la RDC. A la tête de quelques milliers de soldats dissidents, le général déchu tutsi ‘’congolais’’ va défier pendant des années le pouvoir de Kinshasa, qu'il accuse de discrimination contre ses "frères" de la minorité tutsie en RDC. A la fin de l'été 2008, l'est de la République démocratique du Congo, particulièrement le Nord-Kivu, s'enflamme dans un nouvel épisode de la guerre civile qui déchire cette province frontalière du Rwanda et du Burundi depuis près de quinze ans. Le 26 août 2008, Laurent Nkunda lance une nouvelle offensive qui lui permet d'agrandir la zone qu'il contrôle dans le Nord-Kivu et d'amener ses troupes à quelques kilomètres de Goma à fin octobre. L'armée congolaise ayant abandonné la ville, la Monuc (actuellement Monusco) n'a pas pu contre-attaquer, arguant que son mandat est d'appuyer les autorités officielles congolaises dans leurs efforts pour rétablir leur contrôle sur le territoire national, mais pas de contrer une opération rebelle en soi. Nkunda renonce cependant à prendre la ville et déclare le 29 octobre un cessez-le-feu unilatéral puis demandé l'ouverture de négociations à Kinshasa. En octobre 2008, le général déchu explique, dans un entretien en anglais sur RFI qu'une prise de la ville de Goma n'est pas un objectif et qu'il cherche à entrer en pourparlers avec Kinshasa. Oh ! Ma foi, ces pourparlers qu’on appelle toujours de ses vœux ! 2009, Nkunda est arrêté Début janvier 2009, Bosco Ntaganda, le chef d’état-major chargé des opérations de Laurent Nkunda, fait une déclaration fracassante contre lui : il se rallie aux efforts de paix au Nord-Kivu. En termes plus clairs, il se rallie aux côtés de Kinshasa qu’il combat… Alors que l’opinion s’y attend le moins et comme un coup de théâtre, le 23 janvier 2009, l'inspecteur général de la police de la RDC annonce l'arrestation de Laurent Nkunda la veille au Rwanda. Le général déchu a franchi la frontière alors qu'une opération conjointe des forces congolaises et rwandaises reprend le contrôle du territoire conquis par le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) avant qu'une faction anti-Nkunda ne décide de se rallier au gouvernement de Kinshasa. Laurent Nkunda a en effet été démis de ses fonctions par un de ses subalternes le 5 janvier. Ce qui va entraîner une scission du CNDP. Le 23 janvier 2009, cet ancien allié de Kigali en RDC est récupéré vers 22 heures par le Rwanda Defence Forces (RDF, Forces Rwandaises de Défense) puis acheminé à Gisenyi, au Rwanda, où il est gardé jusqu’à ce jour. Ce stratège protestant, marié et père de quatre enfants, sait comment manier en même temps la Bible et la Kalachnikov. Sait-il qu'il "n'était rien sans l'appui de Kigali" et qu'il devrait un jour négocier un exil ou rendre compte pour les crimes de Bukavu et son implication dans la répression sanglante d'une mutinerie à Kisangani (nord-est) en 2002 ? Depuis, Kinshasa ne cesse d’adresser des demandes de l’extradition de Nkundabatware, auxquelles Kigali a réservé une fin de non-recevoir. Certains observateurs à Kigali affirment que la question de l’extradition de Laurent Nkunda divise la classe politique rwandaise tant elle pose le problème du regard des Tutsi congolais, alliés naturels des Tutsi rwandais du FPR. L'arrestation de Laurent Nkunda au Rwanda, dans un retournement d'alliance spectaculaire, va mettre fin à la crise. Provisoirement ! Mais c’est la fin du premier acte d’un long épisode contre la géante RDC. Le 23 mars 2009, le gouvernement congolais et les rebelles CNDP vont tenter d’enterrer la hache de guerre en signant un accord de paix. L’accord prévoit la libération des prisonniers, la transformation du CNDP en parti politique, les retours des réfugiés se trouvant dans les pays limitrophes de la RDC et dont sont issus la grande majorité des rebelles, l’intégration des civils membres du CNDP au sein des institutions gouvernementales ainsi que l’intégration des forces du CNDP dans l'armée congolaise. Mais la tombe dans laquelle la hache de guerre a été enterrée n’était pas trop profonde pour permettre aux démons de la guerre de sortir facilement de la tombe et relancer les hostilités. En effet, il faut attendre 2012 pour vivre un autre scenario dont les acteurs sont dans le cercle restreint du CNDP. Le deuxième acte de l’épisode vient de commencer… Et le M23 nait sous les cendres du CNDP Vers les premiers mois de 2012, le Nord-Kivu, où les bruits des bottes se sont momentanément tus, va se mettre à bouillonner comme un volcan. Un groupe d'ex-rebelles du CNDP réintégrés dans l'armée congolaise en faveur d’un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec Kinshasa se mutinent. Le 6 mai 2012, les mutins dirigés par le colonel Sultani Makenga vont créer le Mouvement du 23 mars ou M23, en référence à la date de l’accord. Ceux qui seront connus sous le nom des rebelles du M23 vont motiver leur rébellion en revendiquant la non-application de l’accord du 23 mars 2009 par le gouvernement congolais. Les ex-membres militaires du CNDP ont été soupçonnés d'abuser de leur position dans l'armée pour contrôler le trafic de minerais. Voilà qui a conduit le Kinshasa à muter les militaires issus du CNDP dans d'autres régions de la RDC. Estimant que Kinshasa violait l’accord du 23 mars 2009, les ex-rebelles du CNDP vont se mutiner en avril 2012. Les choses vont vite évoluer administrativement chez les rebelles. Le 17 août 2012, le Congrès du M23 nomme Bishop Jean-Marie Runiga Lugerero, un ancien du CNDP et originaire du Sud-Kivu comme président du Mouvement. Donc, comme Laurent Nkundabatware, l’homme à la tête du M23, sait manier à perfection deux choses : la Bible et le kalachnikov. Le colonel Sultani Makenga est nommé chef du haut commandement militaire. Devenu rapidement général de brigade, il est chef d’état-major général de la branche armée du M23, qui sera baptisée Armée révolutionnaire du Congo (ARC). Il sera placé le 13 novembre 2012 par les États-Unis sur leur « liste noire », car tenu pour responsable « d'horreurs à grande échelle » contre les civils. Derrière toute cette organisation, se cache Bosco Ntaganda, alias « Terminator », l'un des organisateurs, sinon le véritable chef du Mouvement, un chef de guerre accusé par la Cour pénale internationale de recrutement d’enfants soldats, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Selon le rapport préliminaire du Groupe d'experts des Nations unies pour le Congo et remis en juin 2012 au Conseil de sécurité des Nations unies, le M23 aurait été créé à partir de la fusion de deux groupes de mutins dirigés respectivement, par le général Bosco Ntaganda et le colonel Sultani Makenga. Mais le rôle exact du général Ntaganda dans la création et les activités du M23 reste obscur et contesté. Celui-ci nie être impliqué dans les défections de membres du CNDP. Comme du temps du CNDP, la Rwanda est accusé de soutenir les rebelles du M23 Le Conseil de sécurité des Nations unies va montrer en détail le soutien militaire, financier et politique dont le M23 bénéficie du Rwanda, particulièrement du ministre de la Défense et du chef d’état-major de la Défense du Rwanda. Notamment l’assistance directe à la création du M23 à partir du territoire rwandais, le recrutement effectué par les Forces rwandaises de défense pour le compte du M23, l’appui logistique des Forces rwandaises de défense au M23, l’implication directe de responsables rwandais de haut rang dans la mobilisation de l’appui au M23, l’appui direct fourni au M23 par des unités des Forces rwandaises de défense lors d’opérations en RDC, le soutien au M23 par des officiels rwandais, le soutien du Rwanda à des groupes armés et à des mutineries liées au M23 et le soutien du Rwanda à des personnes visées par les sanctions, notamment le général Bosco Ntaganda. Comme à l’époque de Nkunda, le Rwanda va catégoriquement nier toutes ces allégations, arguant que ce conflit est congolo-congolais. Entre temps, les rebelles du M23 progressent, occupant l’une après l’autre les villes et cités du Nord-Kivu. En juillet 2012, le M23 contrôle deux villes, Bunagana et Rutshuru. Suite à une médiation entamée en août par la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL) à Kampala (Ouganda), les deux camps restent plus ou moins sur leurs positions d’août à la mi-octobre, respectant une trêve précaire émaillée d’accrochages entre le M23 d’une part et les FARDC ou la Monusco d’autre part. Il faut attendre le 20 novembre 2012 pour que Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, tombe aux mains des hommes de Sultani Makenga. La suite est bien connue : la RDC va accuser le Rwanda de l’avoir agressé par les rebelles du M23 interposés, la communauté internationale somme les rebelles de se retirer de la ville. Les hommes de Makenga vont s’en retirer, obtenant en contrepartie la tenue de négociations avec le gouvernement. Ces pourparlers que Kampala abrite s’ouvrent le 9 décembre 2012. Le président ougandais Yoweri Museveni est le président en exercice de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Le déroulement de ces négociations en dents de scie pousse certains analystes sceptiques à ne pas croire à leur aboutissement, d’autant plus que Kinshasa refuse de répondre à toutes les revendications auxquelles le M23 tient mordicus. Alors que les pourparlers de Kampala piétinent, le 24 février, 11 pays africains, dont la RDC, signent l’accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région. Le M23 éclate en deux factions : l’une proche du chef militaire, le général Sultani Makenga, qui promet à Kinshasa d’arrêter Bosco Ntaganda - proche du président politique, Jean-Marie Runiga - tant recherché par le gouvernement congolais et surtout la CPI. Réédition du scenario avec de nouveaux acteurs Le scénario de 2009 est vite réédité avec de nouveaux acteurs en scène : Sultani Makenga, proche de Kinshasa, lui promet la tête de Bosco Ntaganda, alors que le 9 mars ses troupes lancent une grande offensive contre les hommes de Runiga, proches de Bosco Ntaganda. Mais ce schéma est plus élaboré pour faire digression. Une similitude de taille : Comme Laurent Nkundabatware, Jean-Marie Runiga sait manier la Bible et la kalachnikov. Lui est un ‘’bishop’’ à la tête de l’Eglise dénommée Jésus Seul Sauveur (JSS). Pendant plus d’une dizaine de jours, l’aile pro Ntaganda s’affronte avec celle de Sultani Makenga. Celle-ci prend le dessus, obligeant des centaines de fidèles de Ntaganda - dont des officiers supérieurs - à traverser la frontière rwandaise. Le 18 mars, Bosco Ntaganda se rend à l’ambassade des Etats-Unis au Rwanda d’où il demande son transfert à la CPI. L’offensive a été telle que les hommes de Makenga sont parvenus à déloger ceux de Bosco Ntaganda et de Runiga. Ceux-ci, près de 600 combattants, vont se réfugier au Rwanda dans la nuit de vendredi 16 au samedi 17 mars. Bosco Ntaganda, quant à lui, va, à la surprise générale, se réfugier à l’ambassade américaine à Kigali, où il va demander à être transféré à la Cour pénale internationale (CPI). Nous sommes lundi 18 mars. Les choses vont se précipiter. La CPI, qui a cherché à attraper Bosco Ntaganda depuis 2006, avec à la clé deux mandats d’arrêt internationaux, tient à se saisir le plus vite possible de cet oiseau, maintenant qu’il vient de s’offrir lui-même. Bosco Ntaganda sera embarqué vendredi 22 mars dan l’avion, escorté par des agents de la CPI. Destination : le centre pénitentiaire de Scheveningen de La Haye, aux Pays-Bas. Fin du deuxième acte. Toutes choses étant égales par ailleurs, c’est-à-dire les scénarii des commanditaires de la crise au Nord-Kivu étant égaux ou presque, le pion Bosco Ntaganda étant mis hors course, comme Laurent Nkunda en 2009, tout porte à croire fermement que le pion Jean-Marie Runiga et toutes les autres fabrications rwandaises sont aussi mis dehors de la scène. Pendant que la carte Makenga reste en course. Pour un autre acte. Dont les commanditaires savent la date du déclenchement. Mais à ce jour, plus de 4 ans après, la question de l’extradition de Laurent Nkunda vers la RDC continue de tarauder les esprits des Congolais à la mémoire longue. Demain, l’on se demandera où seront passés Runiga et consorts. Un scénario de professionnel qui consiste à placer des pions dans le jeu, avant de les retirer l’un après l’autre, chacun après avoir joué son rôle…L’accord-cadre de paix d’Addis-Abeba, appuyé par la brigade d’intervention rapide, va-t-il venir à bout de l’activisme de nombreux groupes armés qui écument la partie orientale de la RDC ? Kléber Kungu

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