dimanche 12 janvier 2014

Ne peut exercer le pouvoir qui veut



Le règne éphémère de Djotodia

Ne peut exercer le pouvoir qui veut

            1 600 militaires français de l’opération Sangaris, 4 700 soldats africains de la Misca… Toute la thérapeutique concoctée par la communauté internationale aura donc été insuffisante pour guérir la maladie dont souffrait Centrafrique. Une maladie que ceux qui présidaient à sa destinée étaient incapables de soulager les souffrances des Centrafricains. Il fallait donc plus que cela. Les chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), à la leur tête, Idriss Déby, président en exercice de l’institution sous-régionale, ont pris donc le taureau par les cornes en poussant à la démission les deux frères ennemis, Michel Djotodia (président par interim)  et Nicolas Tiangaye (Premier ministre) qui, depuis mars 2013, ont été capables de se haïr. Face à un homme à qui le pouvoir est très vite apparu comme un fardeau trop lourd à porter, et dont il ne sait plus comment se débarrasser et à la montée inquiétante de l’insécurité dans le pays, une seule option était plausible : la démission forcée.
            « On ne peut pas laisser en place quelqu’un qui n’a pu rien faire, qui a laissé faire ». Cet avertissement de François Hollande lâché le 8 décembre retentit encore aujourd’hui dans les oreilles de Michel Djotodia et de Nicolas Thiangaye, poussés à la démission et par les chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) réunis en sommet extraordinaire à N'djamena, et la communauté internationale.
            L’heure était donc grave à Bangui, où la sécurité, la stabilité et la paix restent introuvables, tellement la graine du soupçon a été semée partout. Le pouvoir de Djotodia s’étant révélé incapable de remplir la moindre fonction unificatrice dont les Centrafricains ont besoin. L’équipe Djotodia s’est illustrée par une incompétence notoire, une passivité coupable devant le drame qui endeuillait chaque jour le pays.
            Les scènes de liesse des milliers de Centrafricains observées dans les rues de Bangui à l’annonce de la démission de Michel Djotodia, accusé par la communauté internationale de passivité face aux violences interreligieuses dans son pays, restent révélatrices de la cote d’impopularité dont jouissait cet homme auprès d’un peuple lassé de se voir diriger par un président incapable de maîtriser des rebelles de la Séléka qui l’ont porté au pouvoir qu’il n’a pu exercer ( ?) que pendant quelque 10 mois, livrant ainsi son pays à une insécurité totale.
            En mars 2013, Michel Djotodia venait en effet d’accéder à la tête du pays après avoir chassé son prédécesseur François Bozize, grâce à un conglomérat de rebelles musulmans, avec la bénédiction et des Français et du Tchadien Idriiss Déby, qui, 10 mois plus tard, sentant la barque RCA prendre de l’eau de toutes parts, n’a pas hésité à jouer un rôle de premier plan pour la sauver.
            Un parrain dont le courage politique mérite d’être salué pour avoir placé en priorité les intérêts des Centrafricains. D’autant plus qu’il est établi que les dirigeants africains ont la triste réputation de se porter régulièrement secours entre eux même lorsque la situation est désespérée.
            Le président tchadien a rejeté en bloc la responsabilité de la crise sur les politiques centrafricains. "S'il y a eu échec, c'est celui de la classe politique dans son ensemble", a-t-il lancé jeudi soir aux membres du CNT.
"La transition n'a pas fonctionné comme on le veut. Les autorités qui ont la charge de mener cette transition n'ont pas pu répondre aux attentes des Centrafricains et de la communauté internationale, dont les plus importantes sont l'ordre et la sécurité", a-t-il accusé.
            La démission des dirigeants centrafricains, c'est aussi une victoire diplomatique pour le Tchad, qui a joué un rôle décisif en convoquant le sommet extraordinaire de N'Djamena et en faisant venir hier, par avion, les 135 membres du Conseil national de transition (CNT), parlement provisoire centrafricain. Dès l'ouverture du sommet, le président Deby avait d'ailleurs directement mis en cause l'équipe de Michel Djotodia dans la spirale des violences interreligieuses en RCA.
            Au-delà de tout cela, il y a lieu de saluer également l’initiative courageuse de la CEEAC qui n’a pas attendu l’intervention traditionnelle des Nations unies ou de l’Union africaine pour trouver une solution au problème centrafricain. Idriss Deby a estimé qu’il était important de traiter le problème centrafricain en interne, en famille.
Retour de la stabilité ?
            Après la démission de Michel Djotodia et de son Premier ministre, si elle était attendue, peut-on s’attendre pour autant au retour à la stabilité pour la RCA, un pays qui n’a véritablement pas connu de stabilité durable ? Il est plus tôt de répondre à l’affirmative d’autant plus que lui-même le président par intérim démissionnaire avait avoué ne pas avoir le contrôle des rebelles de la Séléka qui l’ont pourtant porté au pouvoir+. Le président centrafricain était accusé par les habitants chrétiens d'avoir laissé les ex-rebelles, majoritairement musulmans, se livrer à des pillages et à des exactions. Constitués en milices anti-balaka ("anti-machettes"), certains d'entre eux ont riposté en s'en prenant à la communauté musulmane.
            Donc, il est évident qu’en ce moment, il ne suffit pas de démettre le président Djotodia pour que la sécurité revienne d’un coup en Centrafrique.
            La France, ancienne puissance coloniale qui a milité pour une intervention internationale afin de faire cesser les violences, a aussitôt demandé un remplacement "dans les plus brefs délais" de Michel Djotodia. Elle a appelé, par conséquent, à l’organisation des élections avant la fin de cette année.
            Pour l’instant, selon la Constitution provisoire centrafricaine, c’est le président du CNT qui assure un intérim, de 15 jours maximum, le temps d'organiser l'élection d'un nouveau président par le Conseil.
            Dans cette étape transitionnelle, le moment est venu pour que la Centrafrique présente les meilleurs de ses filles et fils qui auront pour mission de bien conduire la barque pour qu’enfin s’ouvre une nouvelle page qui doit conduire les Centrafricaines et les Centrafricains à des élections qui mettront en place des dirigeants capables d’offrir ce qui maque au pays : la paix, la sécurité, l’unité, la réconciliation entre Centrafricains.
            Ironie du sort, Michel Djotodia est rentré dans son exil béninois aussitôt le sommet de la CEEAC terminé où il était quelques années plus tôt, sous la menace de François Bozizé. Celui-ci l’y attend, peut-être pour coaliser en vue d’un autre putsch commun.
            Dans son exil, Michel Djotodia doit retenir une chose : prendre le pouvoir par les armes, c’est une chose. L’exercer, en est une autre, qu’il n’a malheureusement pu faire. Car, ne peut exercer le pouvoir n’importe qui ni n’importe comment.

Les chefs d’Etat centrafricains depuis 1960

1. David Dacko
1960-1966
Premier président après l’indépendance du pays obtenue par son cousin Boganda
2. Jean-Bédel Bokassa (Bokassa 1er à partir de 1977)
(1966-1979)
Neveu de Boganda et cousin de David Dacko, il le renverse, se fait proclamer président à vie puis empereur en 1979.
3. David Dacko
(1979-1981)
Remis au pouvoir par les Français qui renversent Bokassa 1er.
4. André Koligba
(1981-1983)
Il suspend la Constitution et instaure un régime une dictature militaire jusqu’en 1991.
5. André Félix Patassé
(1993-2003)
Elu et réélu démocratiquement, il ne réussit pas à ramener l’ordre dans le pays malgré l’aide de Kadhafi.
6. François Bozizé
(2003-2013)
Ancien homme fort du régime de Patassé, il renverse celui-ci avec l’aide du Tchad. Les conflits armés locaux se multiplient. Il sera évincé par Michel Djotodia.
7. Michel Djotodia
(mars 2013- janvier 2014)
Porté au pouvoir par les rebelles de la Séléka qui renversent François Bozizé, il ne parvient pas à s’imposer et est forcé de démissionner le 10 janvier 2014.
De 6 chefs d’Etat qui ont déjà présidé aux destinées de la République centrafricaine depuis son indépendance en 1960, deux seulement ont accédé au pouvoir sans coup d’Etat : David Dacko I et Ange-Félix Patassé.

Kléber Kungu

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