Crise ivoirienne
Plus d’un mois après, Gbagbo résiste, la communauté internationale se prépare
Isolé totalement avec un pouvoir renié par la communauté internationale, menacé d’être délogé militairement, dépourvu d’avoirs gelés, interdit de visas ainsi que une soixantaine de ses proches, flatté même par la communauté internationale (les Etats-Unis) qui lui propose de l’accueillir, sur fond de plusieurs missions de médiations de la Cédéao et de l’Union africaine –sans succès - plus d’un mois durant, le président autoproclamé, Laurent Gbagbo, reste impassible et indéboulonnable. Accroché à un pouvoir qui lui a échappé à l’issue du scrutin du 28 novembre dernier, Laurent Gbagbo, soutenu par son peuple et continue à narguer une Communauté internationale qui devient de moins en moins bruyante, mais qui se prépare, face à un Alassane Ouattara, enfermé, avec son gouvernement, dans son hôtel, soutenu par la quasi-totalité de la communauté internationale. Les deux « présidents » règnent sur une Côte d’Ivoire plongée dans une crise politique sans précédent, comptant ses morts – plus de 200 morts - attendant de voir le bout du tunnel, qui tarde à pointer.
Plus qu’isolé par la communauté internationale depuis qu’il s’était entêté de ne pas céder le pouvoir à son adversaire Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de la présidentielle du 28 novembre dernier, sous menace d’une intervention militaire Communauté de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), aujourd’hui en préparation silencieusement, Laurent Gbagbo ne bouge d’un iota de sa position. Soutenu par l’armée encore acquise à sa cause – perdue – et sa peuple, M. Gbagbo accepte tout, sauf céder le fauteuil présidentiel à celui qu’il a toujours considéré comme « étranger », mais qui bénéficie du soutien de la communauté internationale.
Ni le gel de ses avoirs et de ses épouses, ni l’interdiction de visas qui le frappe ainsi qu’une soixantaine de ses proches, encore moins le manque de reconnaissance de son pouvoir par la communauté internationale avec, à la clé, le « rejet » de tous ses ambassadeurs et la reconnaissance de ceux nommés par son adversaire, ne sont venus ébranler la volonté et la détermination de Laurent Gbagbo de conserver son fauteuil, quitte à sombrer corps et biens, le moment venu, pour devenir un martyr nationaliste !
Ce vieux politicien qui a plusieurs cordes à son arc, doublé d’un fin dribleur, Laurent Gbagbo sait tirer à longueur pour fatiguer ses adversaires. Aujourd’hui –il est certainement trop tôt pour crier victoire – M. Gbagbo continue à résister car sa stratégie de prédilection marche à merveille. Très bruyante au début de la crise, plus d’un mois après, la communauté internationale semble essoufflée et lassée par la ténacité inébranlable d’un président autoproclamé qui sait s’accrocher au pouvoir comme une sangsue dans un corps.
Même la Cédéao très active au début, brandissant la menace d’une intervention militaire contre M. Gbagbo s’il refuse de céder le maillet présidentiel à celui que le peuple a voulu qu’il préside à ses destinées, semble, à ce jour, essoufflée. Après ses deux missions à la fin de 2010 et en début de 2011, la Cédéao, qui avait missionné les présidents ouest-africains de la Cédéao, le Béninois Yayi Boni, le Cap-verdien Pedro Pires, le Sierra Léonais Ernest Koroma, la Cédéao semble se désintéresser du dossier. Que non ! Pour certains analystes politiques très avisés, le silence de la Cédéao est loin d’être innocent : des voies et moyens de faire plier le « têtu » sont en train d’être mijotées.
A la suite de la Cédéao, l’Union africaine, par la voie de son médiateur désigné, le Premier ministre kenyan Raila Odinga, a pris la relève. Après un premier voyage la semaine dernière, le médiateur de l’UA rentre en fin de week-end à Abidjan pour tenter de faire entendre raison à celui qui ne prête attention qu’à sa conscience.
Situation toujours tendue à Abidjan après des violences meurtrières
Entre temps, alors que s’active des missions de bons offices de part et d’autre, les armes continuent de faucher des Ivoiriens, surtout des pro-Ouattara. En effet, en début de semaine, des affrontements sanglants ont endeuillé des quartiers d'Abobo, fief de M. Ouattara et Anyama (nord) Abobo avait été le théâtre de heurts les deux premières nuits de la semaine entre des éléments armés non identifiés et des membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) fidèles au chef d'Etat sortant. Au moins 11 personnes ont été tuées, dont huit membres des forces de l'ordre, certains attaqués au lance-roquettes RPG 7 selon la police. Le chef d'état-major des FDS a accusé mercredi soir le camp Ouattara d'être à l'origine des violences "assimilées à des actes de guerre" et averti que ses forces étaient prêtes à riposter.
Le général Philippe Mangou a dénoncé "des individus embusqués" ayant répondu aux appels "à l'insurrection armée" lancés par "des politiciens retranchés à l'Hôtel du Golf", QG de M. Ouattara soumis depuis des semaines à un blocus des FDS.
"Nous réfutons ces accusations. Ce sont bien les forces de l'ordre qui ont encore une fois cherché à provoquer la population paisible", a répliqué le porte-parole du gouvernement Ouattara, Patrick Achi.
Comme on le remarque, les deux camps se rejettent la responsabilité d’avoir pris l’initiative de ces affrontements sanglants. Le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, s'est dit "profondément préoccupé" par les violences et a lancé un "avertissement" au camp Gbagbo en cas de "nouvelle opération" des FDS. Trois Casques bleus de la force onusienne en Côte d'Ivoire (Onuci) avaient été légèrement blessés dans une embuscade tendue par les forces pro-Gbagbo, dans la nuit de mardi à mercredi, selon l'Onuci.
Ce regain de tension démontre la persistance de la crise dans laquelle la Côte d'Ivoire est plongée depuis l'élection présidentielle du 28 novembre, une crise qui a fait environ 200 morts, selon l'Onu.
Pressions diplomatiques
Laurent Gbagbo fait aussi l’objet d’une pression diplomatique. Sur ce plan, il reste aussi de marbre. Sur le plan diplomatique, la réplique du camp Gbagbo était attendue après la décision de la France de reconnaître l'ambassadeur nommé par M. Ouattara à Paris, son conseiller diplomatique Ali Coulibaly. Paris a en effet donné son agrément à la nomination d’un nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, dans la logique de la reconnaissance du pouvoir d’Alassane Ouattara. Le nouvel ambassadeur, Ali Coulibaly, ancien journaliste, était jusqu'à ces derniers jours le conseiller diplomatique d’Alassane Ouattara. C’est en Conseil des ministres que cette nomination a été approuvée par la France. L’agrément donné par la France Ali Coulibaly, comme nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, nommé par Alassane Ouattara, durcit les relations entre Paris et Abidjan.
A l’annonce de cette nouvelle, la réaction du pouvoir contesté d’Abidjan ne s’est fait pas attendre. « C’est une fausse route qu’empreinte l’Etat français parce que tous les papiers que cet ambassadeur va délivrer, nous on ne les reconnaîtra pas. Ca va causer des difficultés dans les relations entre la Côte d’Ivoire et la France. Ce qui est certain pour nous, on applique le principe de la réciprocité. Et si notre ambassadeur est chassé de France, nous prendrons des mesures nécessaires pour que l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire quitte la Côte d’Ivoire. S’il refuse de quitter, il sera considéré pour nous comme un travailleur immigré clandestin en Côte d’Ivoire, un sans-papiers. Il perdra ses pouvoirs d’ambassadeur en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire que le gouvernement ivoirien ne sera plus son interlocuteur », a déclaré Ahoua Don Melo, le porte-parole du gouvernement de Laurent Gbagbo.
La semaine dernière, le gouvernement Gbagbo avait annoncé le renvoi des ambassadeurs de Grande-Bretagne et du Canada, en application du principe de réciprocité après le retrait par ces deux pays d'accréditations d'ambassadeurs ivoiriens. Selon Paris, l'ensemble des pays de l'Union européenne auraient décidé dès décembre de ne reconnaître que « les ambassadeurs nommés par le président Alassane Ouattara ». La Belgique a aussi reconnu l’ambassadeur nommé par Alassane Ouattara.
Déjà, à la fin décembre 2010, c’est l'Assemblée générale des Nations unies qui avait entériné la désignation par Alassane Ouattara d'un nouvel ambassadeur ivoirien, Youssouf Bamba. Les nominations et reconnaissances d’ambassadeurs nommés par Alassane Ouattara mettent la pression sur Laurent Gbagbo au moment où les missions internationales et africaines essayent toujours d’obtenir son départ du pouvoir.
Le pouvoir de Laurent Gbagbo avait déjà menacé de renvoyer des ambassadeurs de pays qui mettraient fin à la mission de ses représentants pour reconnaître des personnalités choisies par Alassane Ouattara. L’éventualité d’une rupture des relations diplomatiques avait même été évoquée par le camp Gbagbo.
Si têtu et entêté que puisse être Laurent Gbagbo, je parie que ses jours à la tête de la Côte d’Ivoire sont comptés. C’est silencieusement que la communauté internationale, la Cédéao et l’Union africaine ont préféré préparer le départ – quelle qu’en soit la forme – de celui qui prend le culot de défier toute cette communauté.
Kléber Kungu
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