lundi 24 janvier 2011
« Pain Victoire » se vend à Luozi !
A plus de 350 km de Kinshasa
« Pain Victoire » se vend à Luozi !
(Par Kléber Kungu, notre envoyé spécial à Luozi)
Tout étonnant que puisse paraître cette nouvelle, elle garde intact son caractère véridique : le Pain Victoire, dit « Kanga journée », se vend à Luozi et dans ses environs, à environ 350 km de la capitale, son lieu de fabrication. Il se vend dans une agglomération où évoluent une cinquantaine de boulangers, …à 200 FC, au même prix qu’à Kinshasa, et parfois tout moisis. Sous l’œil dormeur du chef de cité de Luozi, impuissant de résoudre ce problème qui vient s’ajouter aux multiples problèmes – sans solutions - que connaissent les boulangers locaux. Nous avons séjourné pendant deux jours à Luozi, au chef-lieu du territoire du même nom. Où quelques boulangers nous ont exprimé leur ras-le-bol.
Alors que nous venions à peine de quitter les 30 mètres du ‘’prince’’, entendez route bitumée le plus court du monde – entrée de la route de Luozi –à bord de la Land-Cruiser Toyota du Crafod (Centre régional d’appui et de formation au développement), l’aide-chauffeur de ce véhicule nous désigna un véhicule frappé de « Pain Victoire » qui rentrait à Kinshasa. « Voilà un véhicule de Pain Victoire qui vient de Luozi ». Nous roulons depuis plusieurs heures sur une route en terre battue reliant Kimpese à Luozi, nous apercevons un autre véhicule frappé de « Pain Victoire », qui se rend à Luozi.
Une fois à Luozi, nous en rencontrons un autre : la vérité est que Pain Victoire se vend bel et bien à Luozi. Une situation qui vient compliquer celle déjà existante de la quarantaine de boulangers artisanaux que compte la cité de Luozi. Pour une petite cité comme Luozi, avec une population estimée à 13 000 habitants, les 42 boulangers que compte la cité de Luozi sont incapables de vendre tous les pains qu’ils fabriquent par jour. Aussi ont-ils instauré le système de rotation, à raison de 7 boulangers par jour avec chacun environ 300 pains. Ce qui donne 2 100 pains par jour qu’ils sont incapables de tout vendre. Il faut que les bouches des Luoziens des villages environnants viennent à la rescousse des boulangers pour leur permettre de tout vendre.
Kitoko Kavuna, 36 ans, est l’un des 42 boulangers artisanaux que compte la cité de Luozi. Il nous a été direct lorsqu’il nous a parlé des difficultés que les boulangers de Luozi rencontrent depuis que Pain Victoire a commencé à vendre ses pains à Luozi et dans les villages environnants. « Le fait que les Kinois [Pain Victoire, NDLR viennent nous vendre du pain, nous connaissons beaucoup de difficultés : scolariser les enfants, payer les différentes taxes à l’Etat, alors que le prix d’un sac de farine a augmenté [45 000 FC, NDLR] et depuis que Pain Victoire a commencé à vendre ses pains ici, nos pains ne sont plus bien vendus », s’est-il plaint.
Aux dépenses qu’engagent les boulangers de Luozi s’ajoutent d’autres, non moins importantes : achat du bois de chauffage [4 000 FC la stère] et ceux qui les vendent ne réalisent plus de bonnes affaires car les activités des boulangers connaissent un certain ralentissement.
Pour mieux asphyxier les boulangers locaux, Pain Victoire vend ses pains au même prix : 100 FC et 200 FC au même prix que sur place à Kinshasa.
Du pain et achat du fufu
Selon notre source, Pain Victoire ne se contente pas seulement de vendre des pains. Il s’adonne également au transport et/ou du fufu, des haricots, des arachides et autres produits locaux. « La population préfère acheter du pain qui vient de Kinshasa, a ajouté Kitoko Kavuna, car la majorité de nos clients sont des villageois qui préfèrent acheter du pain des Blancs [de Kinshasa fabriqué industriellement, NDLR]. Même le travail des transporteurs est également handicapé par la présence des véhicules de Pain Victoire qui, au retour à Kinshasa, se mettent à transporter du fufu, des haricots. Voilà pourquoi nous disons que leur véritable motivation n’est pas seulement la vente de pains, mais également le transport (achat) de fufu, de haricots et autres produits locaux », a-t-il déclaré.
Comme pour faire la part belle aux pains des Blancs’’, les autorités locales permettent que les vendeurs de pains Victoire ne paient de taxes, alors que ceux des pains locaux sont astreints à les payer (la patente, l’autorisation d’ouverture à payer au Service de l’Environnement).
Qu’a fait le chef de la cité pour trouver une solution à cet épineux problème qui en a rajouté à d’autres que connaissent déjà les boulangers de Luozi ? Presque rien, sinon la tenue d’une réunion qui s’est achevée en queue d’un poisson et le problème demeure à ce jour, sans que l’autorité compétente ne songe à y trouver une solution urgente. « Nous nous sommes plaint auprès de l’autorité compétente pour qu’elle arbitre ce différend, notamment en différenciant le prix de pains locaux avec celui de Kinshasa, mais elle est restée incapable de trouver une solution au problème », a déclaré ce père de 5 enfants. Il regrette même que l’autorité ferme ses yeux en livrant sa population à des maladies due à l’insalubrité. « Nous regrettons que même le Service d’hygiène est défaillant, car il ne dit rien ni ne fait rien au sujet de ces pains moisis qui sont vendus. En plus, pendant la saison sèche, ces pains sont pleins de poussière [pendant leur transport de Kinshasa à Luozi, NDLR]. Mais, en dépit de cet état [moisissure et poussière], ces pains continuent à être vendus sans que le Service d’hygiène ne dise ni ne fasse rien », s’est plaint Kitoko Kavuna.
Une Luozienne nous a également confirmé la vente de pains Victoire moisis. « Auparavant, mes enfants étaient si friands des pains Victoire qu’ils étaient prêts à en consommer même moisis. Mais beaucoup de dissuasion, ils ont pu changer d’avis ».
Le président de l’Association des boulangers de la cité de Luozi, Marcel Nzau, la cinquantaine révolue, a relevé que la vente des pains Victoire, depuis août 2010, a provoqué un problème d’ordre social et un mécontentement, « parce que Luozi est une petite cité, très pauvre et à vocation agricole », mais sans pouvoir aucun, n’étant ni « autorité politico-administrative », bien que président de l’Association des boulangers de la cité de Luozi et « comme le commerce n’a pas de barrière, je ne peux pas empêcher ces gens de venir vendre leurs pains à Luozi ».
La conséquence est que les boulangers locaux ont été contraints de réduire la quantité de pains à fabriquer : on est passé d’un sac de farine à un demi-sac aujourd’hui, ou d’un demi-sac à un quart de sac". « Ce qui prouve qu’il une pauvreté qui naît encore. Le boulanger seul ne sait pas empêcher Pain Victoire de vendre ses pains et nous sommes abandonnés à nous-mêmes, nous ne savons que faire », s’est plaint ce plasticien formé à l’Académie des Beaux-arts, devenu aujourd’hui agent à la Régie provinciale d’encadrement des recettes (Reper).
L’Etat ne protège pas les intérêts de sa population
Aux problèmes locaux, des solutions locales, les boulangers de Luozi se sont engagés à améliorer la qualité de leurs pains et aujourd’hui, les choses commencent à prendre une autre tournure positive en faveur des boulangers locaux: les consommateurs luoziens commencent à revenir à leurs premières amours.
Comme partout ailleurs en RDC, l’Etat ne protège pas les intérêts de sa population. Si le commerce, avec l’ère de la mondialisation, ne connaît pas de frontières, il est vrai qu’au nom des intérêts de la population, il appartient à l’Etat de ne pas permettre aux opérateurs étrangers de commencer à vendre des biteku-teku (amarantes). Si Pain Victoire, qui est une grande boulangerie détenue par des puissants opérateurs, avec un parc automobile puissant, se paie le culot, avec la complicité des autorités politiques, de vendre ses pains partout sur le territoire congolais, au même prix qu’à Kinshasa, que restera-t-il aux boulangers locaux qui doivent s’arracher tous les cheveux de la tête pour s’acheter un sac de farine ?
Tout puissante financièrement que puisse être la société propriétaire de Pain Victoire, nous craignons que vendre ses pains, au même prix qu’à Kinshasa, à plus de 350 km, est loin d’être bénéfique par rapport à toutes les dépenses que ces voyages engagent : carburant, amortissement des véhicules, frais de péage (aller et retour). Que représentent les recettes de vente de 10 000 pains ou 12 500 pains (pour 400 ou 500 bacs de 25 pains chacun) qu’un véhicule Pain Victoire peut transporter ? Tout calcul fait, les recettes peuvent se chiffrer à 2 millions ou 2, 500 millions de FC, soit environ 2 000 dollars ! Vous voyez une telle société accepter de déplacer ses véhicules dans des routes très défoncées pour seulement ce montant ?
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