vendredi 10 décembre 2010

La Sadc et le DVB-T : l'autopsie d'un choix historique

La Sadc et le DVB-T : l'autopsie d'un choix historique
(Un dossier de Kébler KUNGU Kia Mputu avec la collaboration du Dr José Mambwini
Kivuila-Kiaku, consultant et expert en TNT)
Plusieurs fois commentée dans les prestigieux quotidiens internationaux et surtout ceux de l'Afrique australe, la nouvelle selon laquelle la "SADC opte pour le DVB-T2 a failli passer inaperçue dans la presse congolaise si L’Observateur ne lui pas consacré toute une page dans son édition du 2 décembre dernier. Et pourtant la migration vers le tout numérique à l'horizon 2015 est l'une de préoccupations majeures de tous les gouvernements des pays de la Sadc depuis la signature des Accords GE-06 que tous ces pays ont, directement ou indirectement, signé lors de la Conférence régionale des radiocommunications (CRR-06) tenue à Genève, en Suisse, du 15 mai au 16 juin 2006. Pourquoi la SADC a-t-elle porté son choix sur la deuxième génération de la norme européenne? Quels éléments cachés ont orienté ce choix? Quelle incidence aura-t-elle sur les consommateurs que nous sommes? Voilà quelques questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce dossier élaboré avec le concours du Dr José Mambwini.

La SADC et le DVB-T2 : conséquences de l'influence des lobbyistes dans les
autres des gouvernements africains
La Digital Video Broadcasting-Seccond Generation Terrestrial , DVB-T2, est la norme améliorée du DVB-T adoptée par la quasi-totalité des pays membres de la Région 1 de l'Union internationale des télécommunications (IUT), lors de la Conférence régionale des radiocommunications (CRR-06), tenue en mai-juin 2006 à Genève en Suisse. Ainsi que nous l'avions souligné dans notre édition du 2 décembre dernier, étant donné que la SADC appartient à la région 1, choisir une autre norme autre que la norme européenne devrait avoir des incidences diplomatico-politiques pour elles tant il est vrai qu'il est question de gros enjeux. Outre les pressions politiques et sûrement diplomatiques qui ont conduit la SADC à préférer la norme européenne à la japonaise, le dossier avait aussi une couleur économico-commerciale. "Zone d'influence" de l'Europe, l'Afrique constitue un marché d'avenir pour l'Union européenne. Imposer cette norme en Afrique australe ou persuader les gouvernements de "15 de la SADC" à porter leur choix sur elle a des conséquences commerciales et économiques très importantes pour l'Europe.
Forte de sa démographie, la SADC compte plus d'un milliard d'habitants dont le deux tiers résident en ville et quand on sait, dans les villes africaines, un foyer sur trois dispose d'un poste téléviseur, la SADC sera, dans un plus proche avenir, un marché très demandeur en équipements audiovisuels grand public dont le coût a sensiblement diminué ces dernières années. C'est pour cette raison qu'elle focalise l'attention des industries concepteurs des normes TNT et des fabricants des récepteurs TNT. Dans cet ordre d'idées, il y a fort à parier que, dans son choix du DVB-T2, la SADC aurait également subi les pressions des lobbyistes du très puissant consortium européen "Digital Video Broadcasting". Regroupant plus de 240 organisations et sociétés de l'industrie de la télévision parmi lesquelles figurent en bonne place DB Elettronica, Screen Service, Arqiva, Dek Tec, Harris, Rohde & Schwaz, Tandberg, Panasonic, Sony, TeamCast pour ne citer que celles-là, le consortium DVB exerce aussi son influence en Afrique de la même manière que ELF notamment dans la conduite et les décisions politiques de certains pays africains. Il est très probable que les lobbyistes de ces équipementiers aient beaucoup pesé dans la décision de la SADC de porter son choix sur le DVB-T2.
Concrètement, le choix de la SADC serait dicté par les lobbyistes du consortium DVB. La preuve, s'il en est une, nous vient du pays de Mandela. Membre signataire des Accords GE-06, l'Afrique du Sud a longtemps hésité avant de se prononcer pour le DVB-T. Et, si l'on suit avec un regard critique toutes les péripéties en analysant tous les discours politiques en relation avec la migration vers le "tout numérique" de son paysage audiovisuel, on comprendra aisément que le pays arc-en-ciel était avant tout attiré par l'ISDB-T, la norme japonaise. Tout aurait basculé au moment où les lobbyistes auraient fait pression sur la SADIBA ( Southern African Digital Broadcasting Association) et où l'industrie européenne du DVB-T2 aurait décidé d'apporter son soutien à certains opérateurs sud-africains, notamment la SABC qui aurait accepté de réaliser des essais avec la transmission de 18 programmes répartis entre la SABC1, 2 et 3. Nous avons encore à l'esprit les
déclarations de Mamodupi Mohlala, directeur général au ministère sud-africain de la Communication. L'Afrique du Sud n'avait pas encore choisi une norme pour la TNT, avait-il déclaré, ajoutant que son pays attendait l'évolution technologique du marché pour se décider. Nous avons également à l'esprit la déclaration de Siphiwe Nyanda, ancien ministre de la Communications, selon laquelle son ministère avait l'intention de contester le norme DVB-T au profit de la norme japonaise ou brésilienne dont les décodeurs coûtent moins cher que ceux du DVB-T.
Ces déclarations, on s'en souvient, avaient jeté le pavé dans la marre au point que des opérateurs audiovisuels comme e-tv et M-Net sont montés au créneau non seulement pour les dénoncer, mais surtout pour signifier que, rien que pour l 'Afrique du Sud, ils auraient investi plus de R700 millions (équivalent à 102 millions de dollars) pour le développement des réseaux DVB-T. Acculé, Monsieur Nyanda était contraint de changer de discours, soulignant que son ministère attendait la recommandation de la SADC avant de prendre une décision finale sur la question. Autre chose, probablement sous la pression de ces "invisibles lobbyistes", sans que les essais menés sur le sol sud-africain soient complètement achevés, la SADIBA a publié un rapport dans lequel elle appuie l'adoption de DVB-T2 et DVB-T, soulignant leur supériorité technique sur l'ISDB-T. Dans une présentation à l'Université de Witwatersrand, Gerhard Petrick de SADIBA a même avoué que DVB-T2 permettait de transporter 67% de données en plus à couverture et coût de réseau équivalent. Autre chose, comment expliquer le revirement subit de certains pays d'Afrique australe, au premier rang l'Angola, qui avaient d'abord opté pour l'ISDB-T (moyennant des
promesses mielleuses qui leur ont été faites) au profit du DVB-T2 ?


Le DVB-T2 : un choix technologique pour une nouvelle configuration de la TNT en Afrique
De l'avis de certains experts en TNT, la SADC a bien fait d'opter pour le DVB-T2. Conçue pour la diffusion et la réception en TVHD et 3DV, elle est perçue par tous les experts en TNT comme la norme européenne la plus performante de la TNT. Pour la petite histoire, c'est la britannique BBC qui, le premier de tous les opérateurs et diffuseurs européens, a utilisé cette norme sur ces réseaux TNT, à la grande satisfaction des consommateurs. Les expériences menées dans plusieurs pays européens et récemment à Johannesburg en Afrique du Sud ont démontré que, du point de vue émission, le DVB-T2 assure des meilleures performances allant de 30% à 50% que l'actuel DVB-T en termes de débit, de robustesse et de portée. Et les démonstrations effectuées par des centaines de fabricants d’équipements TV grand public, en septembre 2009, à l'occasion de l'IBC2 (International Broadcasting Convention, une sorte de foire de nouvelles technologies de l'information et de la communication qui se tient annuellement à Amsterdam, en Hollande) ont démontré que le DVB-T2 assure une réception optimale pour les récepteurs TV en mode fixe tout comme en mode "portable" (et non mobile).

Pourquoi la SADC a choisi le DVB-T2 en lieu et place du DVB-T?
Tous les experts de la TNT sont d'avis que, bien qu'elle soit considérée comme la prolongation technologique du DVB-T, le DVB-T2 est très différent du premier si l'on compare l'ensemble des paramètres de leur modulation respective. Point n'est besoin de nous lancer dans de longues explications techniques. Quelques exemples suffisent : A) Au lieu de trois constellations de modulation "QAM" (Quadrature Amplitude Modulation, en français Modulation d'Amplitude en Quadrature) comme dans le DVB-T, la deuxième génération en applique quatre ( QPSK, 16-QAM, 64-QAM et surtout 256-QAM); la taille des intervalles de garde passent de quatre à sept (1/4;19/256; 08/01; 19/128; 1/16; 1/32; et 1/128): ce qui permet une augmentation du taux de bits de 24,3 Mbit/s à 35,4 Mbts/s. B) La taille de la FFT (Fast Fourrier Transform ) passe de deux à six ( 1K; 2K; 4K; 8K; 16K et 32k). C) Concernant le FEC (Forward Error Correction), là où le DVB-T utilise
le code convolutif Reed Salomon), le DVB-T2 emploie le LPDC (Low Density Parity Check ) associé au BCH (Bose-Chaudhuri-Hocquengham) avec des taux .... 1/2, 3/5, 2/3, 3/4: 4/5 et 5/6.
D) La bande passante du DVB-T2 peut aller jusqu'à 10Mhz par canal et un multiplex peut transporter 18 canaux virtuels.
Grâce à ces caractéristiques, la performance d'un réseau DVB-T2 utilisant la configuration SFN peut augmenter sa capacité, soit une performance de 46,5% à plus de 67%.
Ces quelques caractéristiques parmi tant d'autres conduisent à cette conclusion : bien qu'il soit la norme améliorée ou la prolongation du DVB-T, le DVB-T2 n'est pas le DVB-T. C'est ici que nous pouvons nous permettre d'apporter un rectificatif à une partie de la déclaration de monsieur Joel Kaapanda, ministre namibien de la Communication et de la Technologie de l’Information et président du comité ministériel en charge des TIC au sein de la SADC, déclaration faite au cours d’un point de presse dont nous avons fait écho dans notre édition du 2 décembre dernier. " Les Etats qui ont déjà commencé à mettre en oeuvre la norme DVB-T devraient continuer sa mise en oeuvre, mais avec la finalité de migrer en fin de compte vers le DVB-T2, a-t-il souligné.
De l'avis des experts, cette précision est techniquement inappropriée. En réalité, bien qu'il soit la version améliorée du DVB-T, le DVB-T2 n'a rien avoir avec son prédécesseur. Concrètement un réseau DVB-T ne peut pas évoluer vers un réseau DVB-T2. Ainsi, pour des raisons purement techniques et financières, tous
les pays qui ont investi et qui exploitent le DVB-T devraient malheureusement continuer avec cette norme pour de longues années encore. Réaliser le voeu de Joël Kaapanda supposerait que les millions de foyers déjà équipés doivent changer leur matériel de réception avec nouveau tuner, ce qui est impensable. Nous insistons : le DVB-T est tout autre que le DVB-T2, étant donné que cette deuxième génération utilise une combinaison des technologies novatrices et éprouvées inappropriées au fonctionnement du DVB-T. Simplifions nos explications: le DVB-T2 utilise trois sortes de technologies qu'on ne trouve pas dans le réseau DVB-T. Les premières sont des technologies perfectionnées de celles utilisées en DVB-T: il s'agit, d’une part, de la modulation OFDM complétée par une constellation 256-QAM et, d'autre part, des modes FFT 16k et 32K plus longs.
Les deux technologies permettent d'augmenter le débit des données et, avec un intervalle de garde de même longueur, de réduire ce que nous appelons les "overheads". La deuxième technologie concerne la protection contre les erreurs par codage LDPC. La troisième technologie est l'utilisation d'une nouvelle ingénierie qui consiste à réaliser une protection contre les erreurs spécifiques au programme, permettant ainsi à un opérateur de choisir, pour chaque programme à transmettre, un équilibre entre le débit et la fiabilité de transmission.
Ce codeur attribue aux programmes des PLP (Physical Layer Pipes) dont les paramètres de codage peuvent être réglés séparément. L’autre différence entre le DVB-T et le DVB-T2, c'est l'utilisation par la deuxième norme de deux nouvelles techniques en vue de réduire le facteur de crête du signal de transmission. En clair, dans le DVB-T2, le signal peut être modifié soit par modulation appropriée des "reserved tones", c'est-à-dire des porteurs OFDM non utilisés, soit en décalant les "adaptative constellation extension", c'est-à-dire les points de la constellation de sorte que des valeurs de crête plus faibles se produisent. Le DVB-T2 utilise aussi une autre technique qui n'existe pas dans la diffusion du DVB-T: il s'agit de la rotation de constellation.
Qu'est-ce à dire? Le modulateur DVB-T2 effectue une rotation d'un certain angle du diagramme de constellation par rapport au système de coordonnée I/Q. De ce fait, une partie de l'information I se transpose sur l'axe Q et inversement. De plus, l'information Q est transmise et retarde de quelques longueurs de symbole, de sorte que les valeurs I et Q correspondantes ne sont pas sur la même porteuse OFDM. Ces deux mesures que nous appelons Q-delayed Rotated Constellation permettent ensemble la reconstruction d'un système même si la porteuse OFDM correspondante est entièrement perturbée, augmentant ainsi nettement la fiabilité de la transmission dans un canal sélectif.

Quelle norme pour la RDC : DVB-T ou DVB-T2 ?
La présentation succincte des caractéristiques qui, techniquement, différencient le DVB-T et le DVB-T2, nous conduit à jeter un regard critique sur le dossier de la TNT congolaise. Faisant fi des rumeurs qui nous étaient venues du côté du ministère des PTT, selon lesquelles les experts congolais auraient opté pour l'ISDB-T, l'opinion garde encore en mémoire la déclaration officielle du ministre de la Communication et Médias, le mardi 2 mars 2009, à l'Hôtel Sultani devant une poignée importante des patrons de chaînes des radios et télévisions. Selon Lambert Mende, la RDC allait entrer à l'ère de la télévision numérique terrestre "dans cinq mois", c'est-à-dire au mois d'août dernier. C'est
probablement sur la base des données techniques que lui a fournies le directeur général de TeleConsult, en sa qualité de conseiller technique du gouvernement congolais qu'une telle annonce avait été faite.
Ainsi, étant donné qu'il y a une grande différence technologique entre le DVB-T et le DVB-T2, l'on est en droit de savoir si la RDC basera sa migration vers le numérique en utilisant la norme DVB-T ou si elle doit se plier aux recommandations de la SADC. Continuer avec la première norme (DVB-T), c'est marquer notre retard technologique...Et, opter pour le DVB-T2 sera une source des dépenses supplémentaires. Alors que fera la RDC pour respecter les échéances du 31 décembre 2013?

Le 31 décembre 2013: un délai court et irréalisable
La SADC a décidé la fin de la TAT (Télévision analogique par voie de Terre) à la TNT au 31 décembre 2013 à minuit. De l'avis de tous les experts, ce délai ne sera point respecté vu les contraintes dévolues à l'implémentation et au développement d'un réseau TNT. L'on doit comprendre que la TNT ne s'installe pas comme la TAT .Implémenter un réseau DVB-T2 de la tête de réseau au modulateur jusqu'aux décodeurs permettant de diffuser de manière efficace des flux numériques en HD ou en 3DV de bout en bout n'est pas une mince affaire. Plusieurs étapes interviennent avant sa mise en fonction effective. Dans chaque pays, tout doit commencer par un projet pilote qui permettra de valider le type de plateforme qui devra ou pourra être exploitée. Ce projet pilote fournira des informations nécessaires à la planification à partir des simulations réalisées en laboratoire et sur le terrain. Les mesures ainsi enregistrées confirmeront ou infirmeront l'efficacité spectrale du DVB-T2 et sa capacité de répondre aux aléas spectraux du site sur lequel sera développée la plateforme DVB-T2.
Il faut beaucoup de temps pour arriver à réaliser cela : de 4 à 8 ans, selon le cas. Ce temps peut être réduit à deux ou trois ans si l'on fait appel aux opérateurs spécialisés dont l'expertise ne fait aucun doute. La RDC a la chance inouïe de disposer des compatriotes qui ont des entrées auprès de ces opérateurs. A travers ces compatriotes, notre pays peut, à moindre prix, disposer rapidement d'une plateforme expérimentale qui intégrera le développement d'un réseau DVB-T2 très innovante. Cette plateforme fera appel au multiplexage statistique, avec l'insertion des données isochrones, disposera d'un guide des services évolués qui offrira aux téléspectateurs congolais une description élaborée et attrayante des programmes, des applications avancées, des services interactifs et convergents. Dans le cadre de la reconstruction de notre pays et surtout dans le souci de rattraper le retard numérique qui nous éloigne de plus en plus du rendez-vous historique de juillet 2015, le gouvernement congolais doit parfois faire confiance à certains de ses fils du pays qui ont une certaine expertise en la matière, au lieu de s'encapsuler dans un certain dogmatisme. La balle est dans son camp.

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