dimanche 27 juin 2010

Wangari Maathai : "Les vrais dirigeants africains n’ont rien à craindre de la CPI"

Dans une interview accordée à IPS
Wangari Maathai : "Les vrais dirigeants africains n’ont rien à craindre de la CPI"
La première Conférence de révision du Statut de Rome tenue à Kampala du 31 mai au 11 juin appartient désormais au passé. La Kenyane Wangari Maathai, militante et lauréate du prix Nobel, a participé à cette rencontre consacrée à la révision de ce qui avait établi la Cour pénale internationale (CPI), qui faisait le point des réalisations de cette juridiction internationale et examinait des amendements pour renforcer la justice dans le monde. Elle s’est entretenue avec notre confrère Evelyn Kiapi de l'Agence Inter Press Service (IPS), l'un des plus grands fournisseurs d'informations sur les questions mondiales. Au menu : la CPI, le rôle des femmes dans le processus de paix… Pour cette première Africaine à avoir obtenu le Prix Nobel de la paix, "les vrais dirigeants africains n’ont rien à craindre de la CPI" qu’elle est ‘’l’unique espoir pour beaucoup de personnes qui ont été privées de justice en Afrique et dans le monde’’.
Reconnue au plan international pour sa lutte sans relâche en faveur de la démocratie, les droits de l’Homme et la préservation de l’environnement, Wangari Maathai, fervent défenseur de la CPI, en a, au cours de cette interview, fait l’apologie. Elle est la fondatrice du Mouvement de la ceinture verte, qui s'emploie à réduire les effets dévastateurs de la déforestation et de la désertification. Lire l’intégralité de cet entretien.

Pourquoi avez-vous participé à la conférence historique de la CPI du 31 mai au 11 juin?

Je suis venue exprimer mon soutien à la CPI, surtout en raison des déclarations selon lesquelles la CPI n'est pas bonne pour l'Afrique et qu’elle ne devrait pas être soutenue par les Africains parce qu’elle est en train de cibler ce continent.
Je sais que la majorité des Africains ordinaires soutiennent la CPI parce qu'ils sont victimes de conflits. Ceux qui ne pourraient pas soutenir la CPI sont les dirigeants qui sont les auteurs de violences contre l'humanité. En outre, dans ces conflits, les femmes ont été utilisées et punies. Ce sont elles qui sont déplacées dans des camps de réfugiés et qui perdent leurs maris et leurs enfants.
Mais de loin, le plus grand crime contre elles est que le viol est utilisé comme une arme de guerre. Nous voulons que le viol soit punissable et ceux qui commettent ce genre de crime en soient tenus responsables.

Pourquoi la CPI est-elle accusée de se concentrer et de cibler uniquement l’Afrique?

C'est une excuse pour l'Afrique. Le mandat de la CPI est de cibler les personnes qui commettent des crimes contre l'humanité et d’intervenir au cas où les mécanismes nationaux ne parviennent pas à punir les auteurs. Au Kenya, nous n’avons pas réussi à maîtriser la situation; le Soudan a été examiné par le Conseil de sécurité pour des crimes commis au Darfour. L’Ouganda, la République démocratique du Congo et la Sierra Leone ont invité la CPI parce qu'ils ne pouvaient rien faire au niveau national.
Ce n'est pas que l'Afrique est en train d’être ciblée. Peut-être, c'est le signe qu’il y a beaucoup de conflits et de violations flagrantes des droits de l'Homme en Afrique et que les pays africains ne sont pas en mesure d’y faire face au niveau national. Ce que l'Afrique doit faire, c'est d’apprendre à faire face à ces questions de façon honnête et équitable. Les vrais dirigeants africains n'ont rien à craindre de la CPI.

Que pensez-vous de l’implication de la CPI au Kenya?

La CPI est venue au Kenya parce que les Kenyans n’ont pas pu créer un tribunal qui puisse punir les coupables. C’est vrai que la CPI ne pourra punir que quelques-uns, les plus responsables. Mais il y aura des milliers de personnes impliquées dans le meurtre, le vol et le déplacement des populations qui devront être jugées par une certaine forme de tribunal au Kenya. Donc, à certains égards, nous complétons et à d'autres, coopérons avec la CPI.

Q: On a souvent reproché à la CPI d’être un 'chien édenté' et certaines victimes disent qu'elle les a laissées tomber.

Il est très important d’éduquer nos populations en Afrique sur le fait que la CPI n'est pas une panacée et qu’elle ne trouvera pas de solution à tous nos problèmes. La CPI est une excellente idée et elle a réussi à créer un pont qui était inexistant; un pont qui lui permet d'entrer dans un pays et d’arrêter des citoyens sans ingérence de la part des gouvernements nationaux. C'est un pont qui devrait donner de l'espoir aux victimes de la guerre.
N’imaginons pas que c'est chose facile. Mais nourrissons-nous de l'espoir que la CPI constitue parce que c'est le seul espoir que nous avons en ce moment. Lorsque nous arrêterons quelques-uns, les potentielles personnes qui auraient voulu une guerre demain réfléchiront à deux fois.

Vous soutenez que la CPI est en train de renforcer les systèmes judiciaires nationaux. Quelles sont les preuves pour montrer que cela est vrai?

Le Kenya est un très bon exemple. Nous devrons maintenant domestiquer certains aspects de la CPI afin de punir les milliers de personnes qui ont commis des crimes au cours des violences postélectorales. Cela, à bien des égards, est en train de nous aider à améliorer notre propre système judiciaire. En domestiquant le Statut de Rome, vous montez la barre sur ce qui est tolérable, même au niveau national.

Les femmes veulent plus de visibilité et de représentation dans les processus de paix. Y a-t-il des preuves pour montrer qu’une voix plus forte des femmes dans la négociation des accords de paix peut donner de meilleurs résultats?

A partir des femmes qui étaient dans le gouvernement - qui étaient aux avant-postes, soit des ministres ou des ministres potentiels, qui auraient dû se réunir pour nous protéger et nous sauver de la catastrophe [des violences postélectorales au Kenya] à laquelle nous étions confrontée -, je n’ai pas vu cela. Et par conséquent, je continue de dire que lorsqu’on leur donne le pouvoir, les femmes doivent prouver qu'elles peuvent le gérer mieux que les hommes.

Quel est le lien entre les conflits, les femmes et l’environnement?

Lorsque les hommes se battent pour le pouvoir, ils luttent généralement pour contrôler les ressources. Il est très important pour nous de gérer nos ressources de manière responsable. Si nous ne le faisons pas, il y aura moins de ressources et cela renforcera la possibilité de conflit, surtout que la population augmente. Et chaque fois qu’il y a conflit, les femmes seront les principales victimes.
IPS/L’Observateur

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