dimanche 5 juin 2011

Catherine Bragg : « L’insécurité est la grande question qu’il faut combattre


Sous-secrétaire générale aux Affaires humanitaires des Nations unies
Catherine Bragg : « L’insécurité est la grande question qu’il faut combattre
(Kléber Kungu, de retour de Bunia, Dungu et Bukavu)
Catherine Bragg vient de boucler une mission de 3 jours dans la Province orientale et au Sud-Kivu où elle a visité Bunia, Dungu et Bukavu. La situation humanitaire reste très préoccupante, d’autant plus que l’insécurité occasionnée par des attaques répétitives des rebelles de la LRA et d’autres groupes armés est telle qu’elle constitue à ce jour une question à laquelle il faut s’attaquer prioritairement. Car, en raison de l’insécurité, plusieurs personnes déplacées meurent de faim et les acteurs humanitaires sont incapables de leur apporter de l’aide dont elles ont grandement besoin. La sécurité conjointe assurée par des éléments des FARDC appuyés par les casques bleus de la Monusco est loin d’apporter la paix tant attendue.
Catherine Bragg, sous-secrétaire générale aux Affaires humanitaires des Nations unies et coordonnatrice adjointe des secours d’urgence a eu de ses autorités la mission d’évaluer la situation humanitaire à Bunia, à Dungu dans la Province orientale et à Bukavu au Sud-Kivu pendant trois jours - du 1er au 3 juin. A l’issue de sa mission, elle conclut que la situation humanitaire des parties visitées très préoccupante et l’insécurité y est telle qu’elle empêche les acteurs humanitaires de remplir convenablement leur mission auprès des milliers de déplacés qui ont besoin de l’aide.
A Bunia, où, aussitôt arrivée, elle a rencontré les acteurs humanitaires et les forces de maintien de la paix de la Monusco, à Dungu, où elle a été accueillie par une pluie qui est tombée quelques heures plus tôt avant sa rencontre avec les humanitaires et la Monusco, à Bukavu, où elle a également rencontré les organisations humanitaires et les autorités politico-administratives locales, le message de ses interlocuteurs également pratiquement le même : l’insécurité grandissante empêche les humanitaires de remplir correctement le travail, affamant ainsi des centaines de milliers de personnes déplacées.
« La situation humanitaire [dans les endroits visités, NDLR] est assez critique, d’autant plus qu’il y a des personnes auxquelles les humanitaires ne peuvent pas accéder », a reconnu Catherine Bragg, alors qu’elle visitait le site de Women for Women International de Kavumu. « Ce groupe de personnes constitue, a-t-elle affirmé, notre grande préoccupation. Il y a quelques années, nous ne pouvions pas atteindre ces personnes, aujourd’hui, nous ne pouvons pas, non plus, les atteindre », a-t-elle ajouté.
La présence persistante et les attaques répétitive des rebelles ougandais de la LRA et d’autres groupes armés qui pullulent dans la région sont une véritable épine dans le travail des humanitaires, en grand nombre, chacun dans son domaine d’intervention. Ce qui provoque des déplacements massifs internes des populations civiles dont le nombre est évalué aujourd’hui à 1,7 million.
A Dungu, Catherine Bragg s’est retrouvée devant une cruelle réalité : 1 359 personnes, soit 271 ménages peuplent le camp de Linakofo qui existe depuis février 2010. Globalement des pêcheurs, ces personnes sont venues des villages Nakudu et Napidi, au bord de la rivière Dungu d’où elles avaient été chassées par les attaques des rebelles de la LRA. Ces déplacés y mènent une vie que les acteurs humanitaires essaient de rendre vivable. Ce jeudi 2 juin, le PAM, dont les avions ont assuré le déplacement de la délégation de Catherine Bragg, leur a distribué de la nourriture : chaque bénéficiaire en a reçu comme ration de 30 jours, 12 kg de kaunga (farine de maïs), 3,6 kg de haricots, 900 gr d’huile et 150 gr de sel. Il arrive que les rebelles de la LRA leur rafle cette seule ration au lendemain de la distribution !
Ils en ont assez de cette vie. Les habitants du camp de Linakofo l’ont fait savoir par des messages écrits sur des bouts de papier brandis par certains d’entre eux. « Nous ne savons pas à quand le retour : pas besoin d’assistance permanente, mais d’une assistance durable », «Protection et sécurité : plus de sécurité en augmentant le nombre de militaires (FARDC et Monusco », «Protection et sécurité : notre périmètre de sécurité est très réduit (limité dan un rayon de 3 km. Le danger reste à nos portes », «Protection abris : améliorer nos conditions d’habitation. Nous sommes exposés», «Santé et maternité : avoir des enfants, c’est bon, mais les avoir en vie, c’est encore mieux », «Santé : être nourri, c’est bon, mais permettre de nous soigner, c’est encore mieux ».
Des messages très clairs que Catherine Bragg a certainement lus avec un grand pincement au cœur, car elle y a donné une réponse quasi rapide. « Merci pour les messages. J’en ferai rapport à qui de droit », a-t-elle promis. Une personne, sous le couvert de l’anonymat, m’a confié ceci, quand je lui ai fait part de ces messages : « Ce sont les mêmes messages à chaque occasion ». Cela veut dire qu’en dépit de l’insistance de ces messages, la satisfaction est loin de rencontrer l’assentiment des messagers.
Visitez ce qui sert de maison à ces compatriotes, de salles de classe à leurs enfants, vous aurez des larmes aux yeux, autant qu’ils en font couler régulièrement, d’autant plus que leur calvaire est loin de prendre fin. « Ils ont été à deux reprises victimes d’attaques des rebelles de la LRA en 2010 », m’a confié l’un des agents de l’ONG ADSSE, partenaire du PAM, Déogratis Simupila, qui ne cache pas sa joie de travailler dans ces conditions périlleuses.
Un tour dans une salle de classe : j’y rencontre un enseignant en train de dispenser joyeusement des leçons à des enfants assis l’sur des bois. La joie de l’enseignant contraste avec ses conditions de travail ! Si le numéro un de l’EPSP en RDC peut y faire un tour ! Heureusement, des humanitaires comme le CICR tente de pourvoir aux besoins en eau de cette population qui demande de ne plus continuer à vivre dans ces conditions. Catherine Bragg s’est fait expliqué une pompe d’eau érigée dans le camp : communiant avec les déplacés, elle n’a pas hésité de boire un peu d’eau de cette pompe !

Que la Monusco applique son mandat de protection des civils
Question : face à la persistance de cette situation d’insécurité, que font les éléments des FARDC et les casques bleus de la Monusco qui y sont déployés. Jean-Charles Dupin, chef de sous-bureau Ocha/Province orientale à Dungu, reconnaît le travail abattu par les FARDC et la Monusco, « mais elle attend de la Monusco plus que cela : l’application de son mandat de protection des civils. Etant donné que les humanitaires sont guidés par un grand principe : on ne veut pas que l’assistance donnée à la population soit en danger ». Et même ceux qui la donne. Malheureusement, c’est cette réalité que les humanitaires de Dungu - le territoire le plus frappé par les attaques de la LRA - vivent quasiment au quotidien pour apporter de l’aide à 308 254 personnes déplacées pour le Bas-Uélé (53 304) et le Haut-Uélé (254 950).
Catherine Bragg estime qu’avec 1,7 million de personnes déplacées à l’est et au nord-est, la situation humanitaire reste particulièrement préoccupante dans cette partie de la RDC. Aussi appelle-t-elle à l’engagement plus accru de la communauté internationale dans le financement de l’aide humanitaire. « Mais avec un financement de seulement 41%, la communauté internationale doit s’engager de manière plus décisive. La survie de presque 2 millions de personnes déplacées, bien plus récemment retournés, et d’autres personnes vulnérables encore dépend largement de l’aide internationale », a-t-elle plaidé.
Excédée et préoccupée par le nombre de femmes et filles violées et les conséquences que cela entraîne, Catherine Bragg a relayé et répété les nombreuses menaces de la communauté internationale contre les auteurs des viols. « Beaucoup l’ont dit, mais laissez-moi le dire encore : l’usage de la violence sexuelle par des groupes armés pour terroriser les civils est inacceptable, et ceux qui commettent de tels crimes, ainsi d’autres graves violations des droits humains, doivent savoir que tôt ou tard, ils seront amenés devant la justice », a-t-elle menacé.

Appel au gouvernement congolais à rétablir l’autorité de l’Etat
Face à une situation d’insécurité qui n’en finit pas, il y a lieu de se demander si l’on doit la laisser pourrir infiniment. Catherine Bragg appelle particulièrement le gouvernement congolais à « faire plus pour rétablir son autorité à travers les provinces, de manière à garantir la sécurité de son peuple et celle des acteurs de l’aide » qu’il peine manifestement à apporter à une population en détresse. C’est là toute problématique de la question sécuritaire de la partie orientale de la RDC. Car, a-t-elle insisté, « le gouvernement de la RDC est en dernier ressort [en premier ressort, NDLR) responsable de la protection de son peuple. Le gouvernement doit agir pour prévenir des abus par des militaires et des forces de sécurité, ainsi que pour privilégier les réformes des systèmes de sécurité et de la justice », tout en encourageant « le gouvernement à s’embarquer résolument dans ces réformes et à étendre l’autorité de l’Etat dans les zones les plus reculées ».
Elle n’a pas oublié les casques bleus de la Monusco dont le rôle est primordial dans la sécurisation des populations civils et des acteurs humanitaires. « La communauté internationale veut également voir des efforts plus importants de la part de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) dans l’implémentation complète de son mandat », a déclaré la sous-secrétaire générale aux Affaires humanitaires des Nations unies.
Apporter de l’aide à des personnes déplacées en nombre en constante augmentation, assurer la protection et la sécurité autant à ces personnes qu’aux acteurs humanitaires, restaurer l’autorité de l’Etat particulièrement dans cette partie du pays en s’attaquant notamment à l’impunité contre les auteurs civils ou militaires de ces actes, mobiliser les donateurs à respecter les engagements pris pour ce qui est de l’aide, autant de défis auxquels le travail immense des acteurs humanitaires est confronté.

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