La contagion tunisienne : une thérapeutique contre la dictature
Le vent de la révolution Jasmin, venu de la Tunisie, ne cesse de souffler sur tous les pays – pour le moment arabes et principalement africains. Ben Ali de Tunisie parti, emporté par la révolution des compatriotes luttant à mains nues, plus facilement qu’on ne s’y attendait, l’ouragan démocratique est loin de s’arrêter en si bon chemin. Telle une épidémie très contagieuse, la révolution tunisienne est en train de souffler dangereusement sur l’Egypte de Moubarak. Après avoir tenté de résister quelque moment, la tête de Hosni Moubarak, tel un fruit devenu très mûr, n’a plus beaucoup de jours avant de tomber.
Le hasard historique et contextuel a voulu que la Tunisie de Zine El Abidine Ben Ali soit le berceau d’une révolution qui fera tâche d’huile à travers le monde. Il a suffi qu’un jeune Tunisien diplômé, sans emploi – pardon ayant pour emploi la vente de légumes - Mohamed Bouazizi, meure après s’être immolé par le feu parce que les forces de l’ordre lui ont confisqué ses légumes, pour que naisse, de manière spontanée, ce qui allait devenir une arme contre les dictatures des chefs d’Etat africains. Comme à l’époque, vers les années 1990 lorsque le vent de la perestroïka a conduit les présidents africains à ouvrir leurs pays au processus démocratique.
Les pays arabes voisins regardent la révolution tunisienne avec méfiance, la peur d'une « contagion » est réelle. D'autres immolations par le feu ont lieu dans d'autres pays d'Afrique suite au geste de Mohamed Bouazizi et sont interprétées par les médias comme la volonté des peuples des pays concernés à imiter l'exemple tunisien et à renverser le régime en place.
En Algérie, dès le 12 janvier plusieurs personnes tentent de s'immoler : dans l'enceinte de la sous-préfecture de Bordj Menaiel, le 14 devant un commissariat de police de la ville de Jijel, le 15 janvier devant la mairie de la ville minière de Boukhadra, le 16 janvier devant le siège de la sûreté de la wilaya de Mostaganem, le 17 janvier dans l'enceinte du siège de l'assemblée départementale dans la région d'El Oued ; le même jour une femme tente de s'immoler en pleine Assemblée populaire communale (APC, mairie) de la localité de Sidi Ali Benyoub, à quelque 450 km au sud-ouest d'Alger.
Le 17 janvier, en Mauritanie, un homme s'immole dans sa voiture devant le Sénat à Nouakchott. Au Maroc, trois personnes tentent de s'immoler à la suite des événements de Tunisie.
En Égypte, un homme s'immole le 17 janvier devant l'Assemblée du Peuple au Caire. Le 18 janvier, un avocat d'une quarantaine d'années a tenté de s'immoler devant le siège du gouvernement au Caire, puis un déficient mental a tenté le même geste à Alexandrie. Le 27 janvier, un ancien militaire de 26 ans s'immole par le feu à Hasaké, au nord-est de la Syrie mais les autorités syriennes imposent un black-out sur l'événement.
De la Tunisie à l’Egypte en passant par quel pays suivant – peut-être l’Algérie – la contagion de la révolution tunisienne est en train de faire des victimes. Les peuples longtemps cloués sous le joug des régimes dictatoriaux trouvent maintenant l’occasion de s’exprimer pacifiquement, même si l’on note des dérapages par-ci par-là (pillages et autres actes de vandalisme) pour exiger le départ de ceux qui président aux destinées de leur pays.
Le vent de la révolution des mains nues soufflant, les dictatures africaines tremblent. Car devant les masses déferlantes des populations lassées des dirigeants dictateurs qui ne pensent qu’à leur ventre et à celui de leurs proches, aucune arme n’est capable de tirer. Peut-on être prêt à exterminer des milliers de manifestants qui réclament pacifiquement leurs droits légitimes, bravant toute peur, cassant tout un mur : celui de la peur ?
Un mur s'écroule sur l'autre rive de la Méditerranée. Une muraille invisible mais omniprésente qui a constitué pendant des décennies le principal ressort de régimes à la légitimité chancelante. Ce mur est celui de la peur. La peur d'un arbitraire systématique, à tous les échelons régaliens, à commencer par ceux de la police et de la justice, auxiliaires zélées prêtes à broyer entre leurs meules ceux qui osent revendiquer leurs droits.
C’est maintenant que le discours du président américain, Barack Obama, prononcé en 2009, à Accra, capitale du Ghana, invitant les Africains à prendre à main leur destin, commence à prendre effet. En effet, le 11 juillet 2009, bouclant un long périple commencé en Russie, le Président Barack Obama s’était exprimé devant les parlementaires ghanéens à leur adressant un message sur la démocratie, la bonne gouvernance, la prise de responsabilité.
« Nous devons partir du principe qu’il revient aux Africains de décider de l’avenir de l’Afrique […] Maintenant, pour réaliser cette promesse, nous devons tout d’abord reconnaître une vérité fondamentale à laquelle vous avez donné vie au Ghana, à savoir que le développement dépend de la bonne gouvernance. C’est l’ingrédient qui fait défaut dans beaucoup trop de pays depuis bien trop longtemps. C’est le changement qui peut déverrouiller les potentialités de l’Afrique. Enfin, c’est une responsabilité dont seuls les Africains peuvent s’acquitter […] Comme je l’ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Mais l’histoire prononce un verdict clair : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas […] En ce XXIe siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du succès - des parlements puissants et des forces de police honnêtes ; des juges et des journalistes indépendants ; un secteur privé et une société civile florissants, ainsi qu’une presse indépendante. Tels sont les éléments qui donnent vie à la démocratie, parce que c’est ce qui compte dans la vie quotidienne des gens […] Alors ne vous y trompez pas : l’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions […] »
« Comme je l’ai déjà dit, l’avenir de l’Afrique appartient aux Africains. Les peuples d’Afrique sont prêts à revendiquer cet avenir […] Mais ces choses ne pourront se faire que si vous saisissez la responsabilité de votre avenir. Ce ne sera pas facile. Cela exigera du temps et des efforts. Il y aura des souffrances et des revers. Mais je puis vous promettre ceci : l’Amérique vous accompagnera tout le long du chemin, en tant que partenaire ; en tant qu’amie. Cependant, le progrès ne viendra de nulle part ailleurs, il doit découler des décisions que vous prendrez, des actions que vous engagerez et de l’espoir que vous porterez dans votre cœur. »
Ces paroles d’exhortation du discours du président américain, les Arabes se l’ont rappelé et appliqué. Il porte déjà des fruits palpables en faveur des populations.
Lorsque le vent souffle, aucun mouvement n’est capable de l’arrêter. Le moment est favorable à ce vent car, en Tunisie comme en Egypte, les forces de l’ordre, souvent sous la botte des dirigeants, finissent par se ranger derrière les manifestants en prenant fait et cause pour eux.
Je présume que le vent ne va jamais s’arrêter aux seuls pays arabes : il va se mettre à secouer tous les arbres portant des fruits, verts et mûrs. Aux dirigeants africains de saisir les signes du temps… Démocratie, bonne gouvernance, liberté de toute sorte restent la thérapeutique à appliquer par les dirigeants avant les populations appliquent la leur, souvent très létale. Au propre et au figuré.
Kléber Kungu
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