dimanche 23 décembre 2012

Qui a ordonné le massacre de Bogoro?

Mathieu Ngudjolo libéré Qui a ordonné le massacre de Bogoro? La nouvelle de l’acquittement par la CPI de Mathieu Ngudjolo Chui de tous les crimes qui lui étaient reprochés n’est pas passée inaperçue dans l’opinion tant nationale qu’internationale. Si même la Cour pénale internationale (CPI) est convaincue que la localité de Bogoro était victime d’un massacre, la question qui reste sans réponse est celle de savoir qui a ordonné ce massacre. Mathieu Ngudjolo, un ancien chef de guerre de l’Ituri, en Province Orientale, a été acquitté de tous les crimes qui lui étaient reprochés. Les juges ont estimé ne pas disposer de preuves suffisantes pour pouvoir le condamner. Mathieu Ngudjolo avait été accusé, entre autres, d'avoir ordonné un massacre dans un village de l'Ituri, en 2003. La liste des chefs d'inculpation était relativement longue. Elle comportait notamment le recrutement forcé d'enfants soldats, l'assassinat, le pillage, le viol, et le massacre perpétré dans le village de Bogoro. Cet ancien chef de guerre aurait donné l'ordre d'exterminer Bogoro, à l'époque il était supposé diriger une milice appelée Front nationaliste et intégrationniste. L'Ituri était à l’époque le théâtre d'une guerre sanglante entre deux groupes ethniques, les Hema et les Lendu. La milice de Ngudjolo était lendu et soupçonnait la présence à Bogoro d'un camp de l'Union des patriotes congolais, une milice hema, commandée par Thomas Lubanga. Thomas Lubanga Dyilo a été condamné en juin dernier à 14 ans de prison pour recrutement d'enfants soldats. A première vue, l'acquittement de Mathieu Ngudjolo est scandaleux. Comment se peut-il que la Cour estime ne pas avoir la preuve de la responsabilité d'un chef de milice congolaise dans l'un des pires massacres commis par sa milice. Mais il est vrai que dans le doute, la présomption d'innocence a l’avantage de l'emporter. Un principe dont les chefs de guerre, à l’instar de Mathieu Ngudjolo, peuvent certainement bénéficier. Ce jugement aura pourtant des conséquences. Précisément parce que le principal chef hema, Thomas Lubanga, a été condamné, alors que le Lendu Ngudjolo a été acquitté. Les Hema ne le comprendront pas et la peur va se répandre chez les survivants du massacre de Bogoro. Qui leur ôtera cette peur? Cela ne ressort pas de la compétence de la CPI. Le cas de Mathieu Ngudjolo avait en effet d’abord été joint à celui de Germain Katanga, son compère seigneur de la guerre lendu, dont les troupes ont pris part au massacre de Bogoro, commis le 24 février 2003, qui avait fait quelque 200 morts, dont de nombreuses femmes, violées, et des enfants. Les deux hommes ont été jugés ensemble mais, le 21 novembre dernier, soit six mois après que les conclusions ont été déposées pour les deux accusés et alors qu’on n’attendait plus que le verdict, les juges ont décidé de requalifier le mode de responsabilité retenu jusque-là contre Katanga et ont disjoint les deux affaires. Certains commentateurs ont soulevé la question d’une possible violation des droits de Katanga car, en suivant cette procédure, l’accusé ne connaît pas la nature exacte des charges retenues contre lui avant la fin du procès. Germain Katanga connaîtra son sort au printemps prochain. Mardi 18 décembre, alors que l’accusation souhaitait faire appel, la cour a ordonné la libération de Mathieu Ngudjolo, qui, selon le porte-parole de la cour Fadi el-Abdallah "doit maintenant dire dans quel Etat il préfère être remis en liberté". Kinshasa salue la libération de Ngudjolo Le gouvernement congolais, de son côté, a salué la décision de la Cour pénale internationale (CPI) de libérer vendredi 21 décembre l’ancien chef milicien Mathieu Ngudjolo, après son acquittement mardi 18 décembre par la CPI de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Son porte-parole, Lambert Mende a salué une décision de justice. « Nous n’avons pas l’habitude d’émettre des jugements de valeur sur des décisions des juridictions surtout celles auxquelles nous participons en qualité de membre de statut de Rome. Nous n’avons aucun commentaire sur les décisions de la Cour pénale internationale. C’est un arrêt de justice et nous en avons pris acte », a déclaré simplement Lambert Mende. Lors de son acquittement mardi dernier, la Cour avait ordonné sa libération immédiate mais le procureur avait demandé son maintien en détention en attendant l’issue de l’appel. Cette demande a été rejetée par la Cour d’où sa sortie de prison ce vendredi. La CPI a estimé que Matthieu Ngudjolo resterait de façon temporaire aux Pays-Bas jusqu’à ce que l’interdiction de quitter le territoire imposée par les Nations unies soit levée pour lui permettre de rentrer en RDC, son pays. A ce sujet, Lambert Mende a estimé que tout Congolais a le droit de vivre dans son pays dès lors qu’il n’a aucun problème avec la justice. « Tout Congolais vivant au Congo n’ayant pas de démêlée avec la justice comme Ngudjolo a droit à la protection du gouvernement congolais. Pourquoi est-ce qu’il faudrait des mesures spéciales ? Il y a une obligation pour le gouvernement de protéger tous les citoyens et cette protection, ils en bénéficieront », a affirmé Lambert Mende. Retour d'abord sur les faits. Depuis le milieu des années 1990, l'est de la RDC est presque sans interruption le théâtre de conflits armés. Les populations civiles sont prises à parties par les différents bélligérants. Géraldine Mattioli-Zeltner de l'organisation humanitaire Human Righs Watch: « Nous parlons de milliers de civils qui ont été tués alors dans l'Est du Congo : ils ont été brûlés vifs dans leurs maisons, torturés, tués à la machette, violés. Les femmes ont été forcées à l'esclavage sexuel. Il y a eu des pillages massifs. Ce sont des crimes très très graves qui ont été commis contre la population civile. » Des ONG parlent de plus de 60 000 morts qu’auraient provoqué ces violences. En mars dernier, un autre acteur de la guerre en Ituri, Thomas Lubanga a été condamné pour des atteintes aux droits de l'Homme. Il s'était battu, lui, aux côtés de la milice UPC, Union des patriotes congolais, proche de l'ethnie hema. C'était le premier cas jugé par la CPI, celui de Ngudjolo étant le deuxième. Un troisième ex-chef de milice, Germain Katanga, poursuivi également pour crimes de guerre, devrait connaitre son sort l'an prochain. Pour Jean-Bosco Lalo, coordinateur de la société civile en Ituri, la justice internationale ne peut à elle seule mettre fin au conflit. «La paix que nous connaissons actuellement en Ituri, n'est pas seulement le résultat des travaux de la CPI. Ce n'est pas l'arrestation de Thomas Lubanga ou de Mathieu Ngudjolo, qui a fait la paix en Ituri. Mais la paix c'est bel et bien un sentiment que les peuples ituriens ont mis dans leur cœur et ils se sont adonnés à cela. » Juger aussi ceux qui ont armé, financé et soutenu Pour les défenseurs des droits de l'Homme, les procédures judiciaires entreprises ne vont pas assez loin. Il faudrait aussi juger ceux qui ont armé, financé et soutenu les milices. L'Ouganda notamment aurait soutenu des milices actives en Ituri. Outre Thomas Lubanga, Mathieu Ngudjolo Chui et autre Germain Katanga, la CPI réclame l'arrestation du général mutin Bosco Ntaganda, soupçonné d'être le chef des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), et de Sylvestre Mudacumura, commandant suprême des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), considérées comme l'un des principaux fauteurs de troubles dans la région des Grands Lacs africains. Qui a ordonné le massacre de Bogoro? Peut-être le saura-t-on lors du verdict du procès de Germain Katanga qui interviendra l’année prochaine. Kléber Kungu

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