mardi 13 novembre 2012
Jenny*, ou le symbole d’un mal aimé de la société
Jenny*, ou le symbole d’un mal aimé de la société
Un corps squelettique enveloppé de guenilles toutes sales, une grosse tête ornée d’une abondante chevelure crépue, un ventre flasque, une paire de chaussures « ketches » sans semelle aux pieds, une denture jaunie, faute de brossage régulier. Malgré tout cela, Jenny, tout joyeux, ne se lasse pas de parcourir presque quotidiennement la distance entre la maison de sa grand-mère où il habite et celle de sa mère, une divorcée récidive. Où, presque chaque jour, il vient chercher sa pitance quotidienne auprès de sa mère. Qui ne veut pas de lui. En dépit de toute la misère qui côtoie au quotidien cet enfant, âgé de 7 ans – il donne l’impression de n’en avoir que 2 - le sourire ne quitte jamais son visage émacié…
Ce jour-là, Jenny est venu, comme les autres jours, rendre visite à la fratrie dont il est membre : son frère Joli, 2 ans et à ses trois sœurs : Ridie, 11 ans, Dimone, 6 ans et Gotie, 1 an hébergés, eux, par sa mère, leur mère. C’est un avant-midi. Sa mère, Tity, une pute, la trentaine, n’est pas encore rentrée depuis qu’elle est sortie la veille pour chercher quoi nourrir ses rejetons. Elle en a 7 issus de quatre pères différents…
Chaque fois que Jenny fait un tour dans le quartier, il prend beaucoup de précautions. Craignant toujours d’être chassé, comme il en est victime chaque jour. Ce jour-là, en entrant par le portail de la parcelle familiale où habitent sa mère, son frère et ses sœurs, Jenny ouvre lentement le portail, jette un coup d’œil par l’entrebâillement du portail, s’arrête pendant quelques secondes : le temps de voir qui est dans la parcelle.
Jenny habite chez sa grand-mère, la mère de son père, l’un des quatre maris que sa mère a eus dans sa vie. Cette veuve sexagénaire n’a pour toute ressource que l’espoir de l’intervention divine. Démunie de tout, sauf de cet espoir, cette femme, en dépit de son état de pauvreté, a dû accepter d’héberger son petit-fils rejeté par son fils. Avoir à manger chez cette pauvre qui habite la commune de Kimbanseke relève du miracle. Il faudra encore que ce miracle ait lieu !
Voilà pourquoi, le petit Jenny, ne se lasse pas de parcourir quotidiennement, ou presque, à pied la distance de Kimbanseke à la commune de N’djili. Malgré toutes les brimades dont il est l’objet de la part des occupants de la parcelle où habite sa mère. Sa survie en dépend beaucoup. Sa mère habite dans la parcelle familiale.
Il suffit qu’il pointe son petit nez dans la parcelle pour qu’une litanie d’injures l’accueille. Jenny est accusé gratuitement de sorcellerie, il est considéré comme un voleur. Même sa mère participe activement à cette campagne pour éloigner l’enfant du milieu, pour le pousser au découragement. C’est-à-dire pour l’inciter à ne plus venir dans cette parcelle où il est le mal aimé.
« Bima, ndoki ! Oye kosala nini awa ? Koyaka lisusu awa te ! » (Sors, sorcier ! Que viens-tu chercher ici ? Ne viens plus ici !, NDLR). C’est par ces cris que les sœurs de sa mère, des femmes, la trentaine révolue, accueillent Jenny.
C’est tout courageux et stoïquement, le sourire aux lèvres, que le pauvre accepte quotidiennement de sortir de sa parcelle, chassé par ses tantes maternelles et …sa mère. Claquant faiblement le portail, le « sorcier » disparaît et s’en va pour une autre destination. Une destination, peut-être plus clémente, plus généreuse et plus accueillante que sa famille.
Que de fois nous sommes réveillés avec cette nouvelle très triste apportée par la victime : « Mama Tity, muana nayo ayibi lipa na sani ya mapa oyo nazali koteka » (Maman Tity, ton fils vient de voler un pain dans le bassin des pains que je vends, NDLR).
Que peut faire cet enfant rejeté par la société, sa société qui a voulu qu’il vienne au monde par le sein de cette Tity qui le déteste à mort, sinon se servir de ce que sa société refuse de lui donner gracieusement ? Le vol – est-ce un vol pour cet enfant ? – reste le seul moyen à Jenny pour trouver quoi se mettre sous la dent.
Le pauvre vit ce calvaire tous les jours…Jusqu’à un certain jeudi 1er novembre. « Ehe ! Jenny est là », crie son petit frère, Joli, accourant vers lui pour l’embrasser. Aussitôt le visage de Jenny s’éclaircit davantage, un sourire fend une bouche qui montre une denture qui n’a plus bénéficié de soins depuis plusieurs années.
Ce jour-là, Jenny est arrivé normalement, après s’être rendu compte que sa mère est absente. Profitant de l’inattention des autres membres de famille, il entre calmement avant de se mêler aux jeux de ses frères et sœurs. La joie est totale sur ce visage qui n’en connaît pas tous les jours. C’est ce que Jenny cherche, c’est ce dont il a besoin : cette chaleur humaine, il n’en a plus ; cette compagnie de la famille, de sa famille, il en manque chaque jour. C’est aussi de cela que de la nourriture que Jenny a besoin.
Tout à coup, le ciel, quelques minutes clair, se noircit pour Kinshasa, mais aussi et surtout pour l’enfant. La pluie ne tarde pas à tomber. D’abord de petites gouttes se mettent à mouiller un sol avide d’eau, ensuite de grosses gouttes …Tous les enfants, Jenny y compris, s’abritent.
« Jenny, sors, je ne veux plus te voir ici. Va-t-en ! » L’ordre est de Tity, la mère de l’enfant qui vient de rentrer. Sans se reposer, aussitôt après avoir aperçu le pauvre enfant en compagnie de ses frères et sœurs, elle se met à le chasser, comme un vulgaire enfant de la rue.
Aussitôt le visage éclairé et joyeux de l’enfant s’assombrit. Mais il va y rester quand même quelque lumière de joie.
Comme une femme chassée du toit conjugal par son mari, Jenny, sort de la véranda pour ramasser ses effets sous la pluie. Pendant que sa mère continue à vociférer comme une folle, l’enfant, après avoir remis ses chaussures sans semelles, se met à sortir de la parcelle, de sa parcelle, de sa famille, alors qu’il continue à pleuvoir.
Assis près de la fenêtre, je suis en train de lire « Le combat d’un Congolais en exil. Réveils douloureux » de José Mambwini, propriétaire de la chaîne de télévision provinciale, GKV TV, installée à Mbanza-Ngungu, lorsque les cris de Tity m’arrachent de ma réflexion. Le spectacle est profondément émouvant. Si émouvant que mes yeux s’assombrissent d’un coup.
Tout d’un coup, deux grosses gouttes tombent sur le livre : le calvaire de Jenny que je viens de vivre pour la énième fois ont eu raison de mon courage d’homme, de parent…S’ensuit un petit claquement de la ferraille : Jenny, tout trempé, vient de sortir sous la pluie en fermant calmement le portail. Il est parti sans poser une seule résistance…Avec pour compagnon son éternel sourire aux lèvres.
* Les noms des personnes ont été changés
Un reportage de Kléber Kungu
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