Bukavu livre ses autres secrets
J’ai rencontré Isella Natalina, la ‘’mère Teresa’’ au Foyer Ek’abana (3)
(Par Kléber Kungu)
De petite taille, le regard vif enfoui derrière une paire de lunettes claires, le langage direct, Isella Natalina, 63 ans, c’est cette dame italienne qui prend en charge les enfants de Bukavu accusés de sorcellerie, dans son centre, d’une dénomination symboliquement significative : Foyer Ek’abana (les enfants sont à la maison, NDLR). Nous la rencontrons dans ce ‘’foyer’’, toujours au four et au moulin, près de ses protégés et prête à leur rendre cette chaleur familiale qu’ils n’ont plus, étant rejetés par les leurs.
C’est Dieudonné Muhananu, animateur principal et chargé de stage et animations culturelles au Foyer Ek’abana, qui nous reçoit avant d’être rejoints par Isella Natalina, coordonnatrice du Centre.
Il va nous parler des activités du Centre. En 2002, le Centre, qui devait être consacré à l’informatique, a dû prendre une autre orientation plus humanitaire : encadrer des enfants accusés de sorcellerie. Cette année-là, il a accueilli 9 jeunes filles. C’est le départ de toute une grande histoire du Centre qui a vocation de récupérer dans la rue tous les enfants que la société rejette en les accusant d’être des sorciers.
Une fois au centre, les enfants sont scolarisés, du moins pour ceux qui en ont encore l’âge. Selon Dieudonné Muhananu, la plupart des enfants pensionnaires de Foyer Ek’abana étudient dans des écoles de Bukavu où ils se révèlent de brillants élèves. Les frais scolaires et la restauration sont assurés par le Centre jusqu’à l’âge de 18 ans. A cet âge, le Centre organise une sorte d’au revoir à l’enfant devenu adulte. A cette occasion, on remet à l’enfant un kit composé d’une machine à coudre. Si le Centre n’arrive pas à retrouver les parents dont l’enfant est sur le point de quitter le Centre, on le transfère.
8 ans d’existence, environ 300 enfants accueillis
A ce jour, le Centre a déjà accueilli environ de 300 enfants en 8 ans d’existence. Le Centre n’accueille pas que des enfants dits sorciers, mais tous ceux qui sont très vulnérables. Le Centre s’occupent également des 600 enfants dits ‘’ mai mihogo’’ (eau contre manioc), qui sont dans leurs foyers et pour qui il paie les frais scolaires. Il y a, en outre, une cinquantaine de filles dépourvues de métier que le Centre forme en payant les frais d’atelier.
Foyer Ek’abana à la particularité d’être inconnu : c’est le propre même des personnes ou des choses qui font de grandes choses sans beaucoup de bruits. C’est le Centre de protection de l’enfance de Cimpunda, situé au quartier SNCC, une jeune œuvre du diocèse de Bukavu créée en janvier 2002.
Le Centre organise quelques activités d’encadrement des enfants : le sport, l’agriculture, les danses et les chants traditionnels, modernes et étrangers, la coupe et couture, le jardin, l’élevage.
Aujourd’hui, le Centre butte à plusieurs difficultés, notamment la demande qui excède l’offre, le manque de financement (le Centre ne vivant principalement que des dons et legs, la difficulté à réinsérer les filles, le manque de collaboration des parents, la pauvreté des familles.
Le Centre ne se limite pas à recevoir les enfants, mais il mène également des activités de sensibilisation commune avec la police, les chefs de quartier, les curés de paroisse dans des quartiers sur la question de sorcellerie dont on accuse les enfants.
L’animateur principal estime que les activités de sensibilisation portent des fruits. Aujourd’hui, l’on constate une baisse du nombre d’enfants jetés dans la rue à cause de la sorcellerie, par rapport aux années antérieures.
Foyer Ek’abana a quatre animateurs du terrain, il dispose de la commission sociale, de l’aumônerie, de la réception où est enregistrée l’identité de l’enfant et de ses parents. Il y a également une cuisine, un réfectoire, une bibliothèque, une grande salle pour le théâtre.
Depuis 1976 en RDC, Isella Natalina, estime que les humanitaires ne font rien sur le terrain, d’autant que son centre ne bénéficie d’aucune aide humanitaire, alors que Foyer Ek’abana peine pour trouver des bailleurs de fonds. Quant aux autorités politiques du pays, elle les appelle à l’application stricte des lois sur la protection de l’enfant.
« Vous ne pouvez pas vous reposer tant qu’il y aura une petite fille à laquelle vous pouvez être utile ». Cette phrase de Don Lucca Passi est bien affichée au Centre. Isella Natalina en a fait son leitmotiv. Lorsqu’elle nous fait visiter son Centre, elle en profite pour nous montrer son amour envers les rejetés de la société. Un mot tendre ici, un encouragement là, quelle tendresse, quelle dose de générosité verbale envers ses pensionnaires. Voilà Isella Natalina, cette ‘’Mère Teresa’’ de Bukavu qui ne dort pas sur ses lauriers tant qu’elle se rend compte que Bukavu compte des centaines d’enfants auxquels elle doit être utile.
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