Bukavu, la poussiéreuse et la boueuse
(Un reportage de Kléber Kungu)
Lorsqu’on arrive à Bukavu pour la première fois, la ville vous paraît sans vie. Bukavu vit : le jour comme la nuit. Ses habitants n’ont pas assez de problèmes de trouver quoi manger : de la viande fraîche en passant par du poisson frais, des légumes, des pommes de terre, de la tomate, du lait frais, des patates douces, des bananes, du fromage… Il y en a à gogo. Et le très prisé poisson de mer des Kinois ? Ici, il est presque inexistant. Les ‘’Bukavutiens’’ n’ont pas honte de le signifier aux ‘’faméliques’’ Kinois que nous sommes.
La vie de Bukavu, c’est également la circulation qui est très intense : des voitures, des bus de marque Hiace, mais surtout des motos. Les carrefours sont très animés aux heures de pointe. Bukavu et sa périphérie sont abondamment motorisées. Mais, fait rare : Bukavu n’a pas (encore) de couleur propre à ses taxis et bus de transport en commun qui roulent dans une ville jaunie par la poussière. C’est comme à Kinshasa : les motos transportent deux à trois passagers, mais contrairement à Kinshasa, ils sont généralement casqués.
En quittant Kinshasa lundi 1er février, ma mémoire résonnait encore des propos de mon éditeur, Mankenda Voka. En plein marbre dimanche 31 janvier, il m’a fait cette recommandation : « A Bukavu, il fait très froid. N’oubliez pas votre pardessus. Vous pouvez porter une chemise banche pendant toute une journée sans que son col ne soit sali ». Il a tout simplement oublié que le très mortel phénomène de réchauffement climatique n’épargne pas Bukavu dont les habitants se plaignent des conséquences des effets de serre, dont notamment des fortes chaleurs. Que nous Kinois, récemment débarqués dans cette ville, après avoir passé un dimanche très caniculaire, n’avons pas remarqué. Il m’arrivait de dormir sous la couverture, sans que je ne suffoque de chaleur !
Bukavu, c’est deux extrêmes : lorsqu’il ne pleut pas pendant plusieurs jours ou pendant la saison sèche, la poussière est telle que tout Bukavu et ses environs sont sales, tout poussiéreux : habitants, véhicules, motos, toits des maisons portent cet habit sale. Les pluies, quant à elles, sont porteuses de boue, une boue collante, si collante que les meilleures chaussures made in Italy ne sauraient y faire face.
Lorsque vous débarquez à Bukavu la nuit, à bord d’un avion, les yeux bandés et qu’on vous demande dans quelle ville vous vous trouvez, la probabilité est grande que vous répondiez : « Matadi ». Bukavu, c’est un peu comme Matadi. Il est construit sur un relief montagneux, au bord des eaux : le lac Kivu. Bukavu n’a rien à envier à Kinshasa : ses altères sont défoncées. Leur réhabilitation n’est pas pour demain.
Bukavu by night
La nuit, Bukavu porte une autre robe : festive, d’ambiance. Nous la découvrons mardi 2 février. A l’invitation des amis, nous nous retrouvons dans un des coins à recommander aux ‘’On ne vit qu’une fois’’ : Parc des princes, construit pratiquement au bord du lac Kivu. L’ambiance et le décor y sont très féeriques. Tout Bukavu festif y prend rendez-vous chaque nuit pour se dépoussiérer : nationaux et expatriés, tous sexes confondus. La lumière est telle que tout ce qui est sale ou laid devient propre et beau.
Très taquins, nos amis nous lancent :’’ Restez dans votre Kinshasa où l’on ne consomme pour viande que des chinchards. Nous, ici, c’est du bœuf frais’’, se vantent-ils. ‘’Avez-vous un truc pareil à Kin ? [Allusion faite au ‘’Parc des princes’’] Il est de loin plus chic que votre Chez Ntemba. Remarquez qu’il est bâti sur le lac », ajoutent-ils.
Quelques instants après, le courant électrique est coupé. Nous profitons pour leur répliquer : ‘’Voyez, c’est comme à Kinshasa, il y a délestage’’. Ils attaquent en plaisantant : ‘’ C’est parce qu’il y a quelques Kinois dans la boîte ». Un générateur électrique prend immédiatement la relève aussitôt après la coupure.
C’est dans cette boîte, me raconte mon confrère Freddy Mata de Top Congo, qu’un Chinois, ivre, s’est permis de déchirer des billets de FC au vu et au su des Congolais. Non content de la facture qu’il devait payer pour sa consommation, ce Chinois, accompagné de deux autres, s’est permis de déchirer les billets de FC que le barman lui a remis. Avant de s’évanouir dans la nuit de Bukavu, alors qu’est arrivé un groupe d’agents de l’ordre qui s’est lancé aussitôt à ses trousses, après avoir été informé de l’incident.
Bukavu est l’une des villes les plus chères de la RDC. Il faut être bien friqué pour faire face à la vie des restaurants où, pour bien manger, il faut débourser au moins 10 dollars par repas. Le restaurant Mama Kindja est l’un des coins les plus fréquentés de Bukavu. Si vous êtes friands de la soupe, Bukavu n’est pas la ville la plus indiquée. Lorsque vous demandez de la viande, on vous en sert grillée, non préparée. C’est comme si les Bukavutiens aiment manger sec. « Les habitants de Bukavu ne savent ni manger ni préparer », conclut Mathy Musau, journaliste de Forum des As, l’un des membres de notre délégation.
Bukavu a ses traditions. Chaque 1er mercredi du mois, toutes les femmes enceintes de Bukavu se font bénir à l’église. Le 3 février, j’ai vu sortir une marée féminine du Cathédrale Notre Dame de la Paix, chacune femme, en plus de la grossesse, portait un bidon d’eau : le spectacle était beau à voir. « Oh ! je suis satisfait de la performance des Bukavutiens ! », me suis-je extasié intérieurement, fasciné par ce beau spectacle.
Pas de vendeurs d’eau ambulants
S’il y a, comme à Kinshasa, des vendeurs ambulants d’arachides, je n’ai pas remarqué aucun vendeur d’eau, pure soit-elle, aucun cireur. Tandis que « bana vernis », nous en avons vu un, au point de nous demander s’il y en a vraiment.
A Bukavu, certains magasins, notamment des super marchés affichent les prix des biens avec le FF (1franc fiscal équivalant à 1 dollar). Ce qui n’enlève rien à la dollarisation de l’économie sud-kivutienne. Les billets verts circulent joyeusement à Bukavu. Où, d’ailleurs, les magasins, les hôtels et autres auberges n’acceptent pas le dollar des séries allant de 1996 jusqu’aux années inférieures. Ne sont acceptés que les billets des séries à partir de 1997.
Des constructions poussent à Bukavu. Je crains que les normes urbanistiques et sismiques pour une ville déjà secouée par un séisme ne soient pas respectées. A la place d’échafaudages forts en bois, les Bukavutiens utilisent ceux en sticks.
Des Bukavutiens, des Sud-Kivutiens cohabitent joyeusement avec les Rwandais, au point que des jeunes Bukavutiennes imitent la coiffure des Rwandaises en se rasant très court. Une Bukavutienne à qui j’ai posée la question de savoir pourquoi les Bukavutiennes adorent cette coiffure, m’a répondu qu’elles imitent la coiffure des Rwandaises.
Comme à Kinshasa, chaque samedi, des salles de fête ne désemplissent pas : des cérémonies de mariage y sont beaucoup célébrées. Mais selon une habitante de Bukavu, les jeunes Bukavutiennes mariées sont si infidèles qu’elles ne passent que quelques semaines de fidélité avec leurs maris avant de reprendre le chemin de leurs anciens copains. Ainsi, a-t-on appris, à Bukavu, les mariages se font et se défont au même rythme…
Lundi 8 février, vers 9 heures, lorsque je quitte Bukavu, à bord du Boeing 747-400 de Georgian Airlines, je jette un dernier coup d’œil à une ville que je n’ai pas fini de découvrir. Et à la prochaine occasion…
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