La réforme des entreprises publiques
Jeanine Mabunda : “Le Congo est un géant qui ne répond plus à sa taille“
L’actualité de l’heure a fait déplacer Jeanine Mabunda, mardi 26 mai, de son cabinet pour le salon Lubumbashi du Grand Hôtel Kinshasa pour expliquer à la presse nationale et internationale la réforme des entreprises publiques menée par son gouvernement. « Dans un dialogue franc », la ministre du Portefeuille a fait un panorama sur ce qui est la réforme des entreprises publiques, d’actualité brûlante.
A leur création, les entreprises de l’Etat (53 entreprises publiques et 54 sociétés d’économie mixte) visaient aussi bien la production des biens et services pour la satisfaction des besoins de base des Congolais que leur contribution au financement du budget de l’Etat par des dividendes. Mais depuis une trentaine d’années, ces entreprises ne répondent plus à ce double objectif. Elles sont devenues plutôt une charge financière aussi bien pour l’Etat que pour les Congolais.
Conséquence : les services en eau, en électricité ou en transports rendus au peuple congolais par ces entreprises, sont de mauvaise qualité. Que dire, en effet, de toutes les réclamations des Congolais sur les coupures intempestives du courant, les délestages, la faiblesse et l’instabilité de la tension, le non-éclairage de beaucoup de quartiers des communes ? A-t-on oublié les difficultés que nous éprouvons pour nous approvisionner en eau, la qualité même de cette eau ? Que n’endurent pas comme soucis les nombreux opérateurs économiques et autres passagers desservis par les locomotives de la SNCC ! Que dire des services dont bénéficient les usagers de trains de l’Onatra ?
Sur 2 457 mégawatts installés, la RDC n’en utilise que 1 237
Alors que la puissance totale de l’énergie installée est de 2 457 mégawatts, la puissance en énergie électrique disponible à ce jour pour toute la RDC est de 1 237 mégawatts, ce qui donne un taux d’exploitation (utilisation) de 50 %. Et malgré l’abondance des ressources du pays en matière électrique, la RDC a un taux de desserte de l’électricité apportée à la population est de 4 %, alors que pour toute l’Afrique, le taux moyen est de 24 %. Ce déficit en énergie électrique a pour conséquence pour la RDC la perte de croissance et la perte de production et de productivité pour l’économie de 5%. Cette situation contribue donc à l’enracinement de la pauvreté.
A la Régideso, la situation est loin d’être reluisante. Le taux de desserte de la population en eau est de 22 %, alors que le pays est reconnu pour sa réserve d’eau la plus grande en Afrique. Sur 100 robinets installés en milieux urbains, 30 ne fonctionnent pas.
La situation du secteur des transports – ferroviaire et routier - lui aussi, est dramatique. Alors qu’il devait, dans un grand pays comme la RDC, favoriser et faciliter les échanges et améliorer la mobilité des biens et des personnes. Le secteur souffre du manque de wagons et de locomotives, et les délais d’attente sont très longs. Par ailleurs, on remarque les coûts élevés de prestation des rails, des ports et des aéroports et qui se répercutent sur les coûts de production.
C’est le cas par exemple de la Société nationale des chemins de fer (SNCC) qui est aujourd’hui l’ombre d’elle-même, empêtrée dans des difficultés techniques et financières. La conséquence est que certains miniers et industriels ne veulent plus utiliser les trains et cherchent des solutions intermédiaires. L’Onatra est également embourbé dans des difficultés. Ses prots sont devenus les plus chers au monde car, ayant des problèmes de dragage, des manutentions, des grues, il recourt aux services des intermédiaires. Ce qui fait monter les coûts.
Des solutions appropriées à des problèmes spécifiques
Face à ce tableau très sombre de ces secteurs, devenus un goulot d’étranglement, la République démocratique du Congo, ce pays potentiellement géant au cœur de l’Afrique est aujourd’hui loin de répondre à sa taille. Il faut l’aider et attirer les capitaux étrangers, les multinationales vers lui. Il faut des solutions appropriées pour des problèmes spécifiques. D’où la nécessité de réformer ses entreprises pour qu’une fois devenues compétitives, elle tire des dividendes pour disposer des moyens de sa politique. En refusant de garder le statu quo, le gouvernement a dû prendre le taureau par les cornes en initiant la réforme de ses entreprises.
Pour la ministre du Portefeuille, la réforme, « une suite de la vision économique de 2001 du chef de l’Etat avec notamment le code minier, le code des investissements » traduite dans un programme qui sont les 5 chantiers de la République. Elle vise entre autres objectifs la redynamisation de l’économie publique, l’amélioration de la qualité de services et l’allègement de la charge du trésor public. Depuis 2001, le gouvernement a décidé de « revoir, de repenser le rôle de l’Etat dans l’économie publique en parlant de la réforme du portefeuille de l’Etat ». Question de « redynamiser l’économie publique », d’insuffler « un élan nouveau en vue d’améliorer la production ». Une dynamique nouvelle pour améliorer la qualité des services à la population.
In fine, l’Etat a résolu d’abandonner son rôle de l’Etat commerçant aux privés pour demeurer dans le rôle de régulateur. D’où la nécessité du cadre juridique avec l’ordonnace-loi sur la transformation des entreprises publiques promulguée le 12 juillet 2008 par le chef de l’Etat Joseph Kabila, après son vote par le Parlement, les décrets promulgués le 24 avril 2009 par le Premier ministre Adolphe Muzito n’étant que l’application ou l’exécution de la loi de juillet 2008. Des lois adaptées aux réalités socio-économiques de la RDC.
20 entreprises publiques ont été transformées en sociétés commerciales, 20 entreprises publiques en établissements publics, quatre en services et 6 autres entreprises dissoutes. Comme dit plus haut, aux yeux de l’Etat, cinq secteurs sont prioritaires : les infrastructures, l’énergie, les mines, les finances (non bancaires), les télécommunications.
Contrairement à toutes les folles rumeurs sur le bradage dont on accuse le gouvernement sur les entreprises publiques, Jeanine Mabunda a été rassurante. « Le gouvernement et le parlement sont très prudents sur le patrimoine du pays. Il ne s’agit pas de tout vendre ni de tout changer en un jour »,
a-t-elle rassuré. Il n’est pas surtout question de licencier ou d’assainir qui que ce soit dans les entreprises publiques.
Des missions de stabilisation
Pour sauver ses entreprises qui présentaient l’urgence d’être sauvées, l’Etat a dû faire des missions de stabilisation avec des partenaires internationaux, dont les firmes Progosa, Vecturis…) avec des entreprises comme la RVA, l’Onatra et la SNCC. Le but de ces missions est d’arrêter l’hémorragie, la dégradation de la situation financière des entreprises publiques. La prudence est de mise chez l’Etat qui aurait dû ouvrir directement le capital de ces entreprises aux privés. « Parce qu’à notre arrivée au ministère, nous connaissions mal la plupart des entreprises car peu d’entre elles fournissaient des états financiers fiables », s’est expliquée Jeannine Mabunda. Aujourd’hui, les résultats de ces missions de stabilisation sont porteurs d’espoir car elles ont permis aux entreprises concernées d’améliorer leurs chiffres d’affaires, de payer régulièrement les salaires des agents et d’améliorer le taux de recouvrement de la créance.
La ministre du Portefeuille a toutefois reconnu la fragilité de la mission de stabilisation de la SNCC où le gouvernement consacre beaucoup d’attention et d’efforts pour la tirer de sa situation économique délétère.
Au bout du compte, en se lançant sur voie de la réforme, l’Etat propriétaire veut des entreprises redimensionnées, performantes, compétitives capables de rendre des services de qualité à la population et de se mesurer avec les entreprises d’autres pays.
Après avoir tout essayé durant 40 ans avec la zaïrianisation, le choix des mandataires, pourquoi ne pas essayer avec la réforme si le résultat pourrait s’avérait satisfaisant ? D’autant que cette réforme est participative avec les travailleurs et non contre eux ?
Pourquoi ne pas prendre le risque avec cette réforme, quoique, comme l’a reconnu Jeanine Mabunda, ne soit pas une recette miracle, si elle peut, en 2010, nous permettre de présenter des aéroports modernes, de l’eau de qualité, du courant électrique régulier, de bonnes routes aux Congolais comme réponse aux nombreuses promesses qu’on leur a faites ?
Jeannine Mabunda pourrait, alors, s’estimer heureuse devant les Congolaises et les Congolais en leur présentant ces réalisations. Avec elle, tout le gouvernement. Ce qui permettrait à ce géant qu’est le Congo de répondre à sa taille. Alors la réforme aura servi à beaucoup de choses.
Kléber Kungu
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