Le découpage territorial, une mission impossible ?
(Un dossier de Kléber Kungu)
Malheureusement, la décentralisation présente des signes d’une gestation difficile, des signes avant-coureurs qui ne trompent pas : le gouvernement central rechigne à rétrocéder les 40% des recettes aux provinces, des conflits identitaires, la résurgence des tensions ethniques, des caisses de l’Etat qui sonnent creux… Le découpage territorial, qui doit concrétiser cette décentralisation, peine beaucoup à prendre corps. Les choses se passent comme si cette question n’est pas inscrite dans l’agenda des autorités du pays. Des pesanteurs empêchent le découpage territorial de se matérialiser, le rendant une mission impossible à ce jour. Alors que le temps presse, car il ne reste que quelque 3 mois de son entrée en vigueur à la date butoir de mars 2010.
En dépit de l’opportunité que le découpage territorial présente et de tous les avantages qu’il offre pour un pays aux dimensions continentales en vue d’une gestion administrative et politique assez aisée, il y a lieu de craindre à ce jour qu’il présente, aux yeux de ceux qui sont censés le faire appliquer, plus d’inconvénients que d’avantages.
Et pourtant, nous l’avons souligné, les bonnes intentions des concepteurs de
A ce jour, la concrétisation de la décentralisation, avec en toile de fond le découpage territorial, est loin de devenir effective. Bien des écueils empêchent ce rêve de plusieurs Congolais et des constituants de se réaliser.
Le transfert des compétences financières et administratives du pouvoir central aux provinces, concrètement les 40% des recettes du budget national aux provinces, pose problème. La conjoncture actuelle vient donner une raison de plus au pouvoir central qui n’a vraiment pas de volonté d’appliquer cette mesure constitutionnelle. Dans ces conditions, comment doivent fonctionner les gouvernements provinciaux et leurs assemblées, précisément les provinces peu « viables » ? Lorsqu’une province urbaine comme Kinshasa sue sang et eau pour faire réunir ses députés, faute de siège propre à elle, que dire des provinces rurales peu dotées d’infrastructures viables ?
Au nom de la démocratie, les gouverneurs de province sont devenus les bêtes noires des députés provinces qui n’hésitent pas de brandir la redoutable arme que sont la motion de défiance, la motion de censure contre eux. Lors de la première réunion avec le chef de l’Etat Joseph Kabila en juin 2009 à Kisangani dans
Le vice-gouverneur du Maniema, Pierre Masudi Mendes avait été déchu par l’assemblée provinciale, après avoir été désavoué le 14 octobre 2009 par 14 députés sur les 24 que compte l’organe délibérant du Maniema, à la suite d’une motion de défiance initiée par l’un d’eux, le député provincial Dieudonné Mbukani Katebwa. Ils lui reprochaient plusieurs faits dont la mauvaise gestion, faux et usage de faux et la violation des certaines consignes du parlement provincial.
Les partisans du déchu n’ont pas voulu se laisser faire. Ils ont, par conséquent, protesté par une manifestation dans la commune de Mikelenge, fief électoral de Pierre Masudi. La manifestation a été émaillée d’incidents : trois personnes blessées dont le vice-président de l’assemblée provinciale, l’honorable Nyangi Lelo, et un agent de l’assemblée provinciale. En outre, une moto d'un député a été emportée, les vitres de la voiture du président de l’assemblée provinciale, cassées. Le député auteur de la motion de défiance a eu la vie sauve grâce à l’intervention de la police.
Le gouverneur Julien Paluku du Nord-Kivu a été aussi sous le coup d'une motion de censure en début octobre 2009. Il lui était reproché notamment la malversation financière. Le rapport de la commission d’enquête sur l’exécution du budget 2008-2009 de la province du Nord-Kivu, rendu le 08 octobre à l’assemblée provinciale, recommandait notamment la démission en bloc de tout le gouvernement provincial, accusé de mauvaise gestion des deniers publics. Le gouvernement provincial tenait deux comptabilités parallèles, l’une gérée officiellement par un comptable et un ordonnateur délégué ; et l’autre, par le conseiller financier du gouverneur, selon la commission.
Julien Paluku, qui n’était pas à sa première bataille contre les députés de sa province, avait rejeté les accusations portées contre son gouvernement, en accusant le rapport de cette commission de beaucoup d’insuffisances. Fin novembre 2007, les groupes parlementaires du PPRD, du MCR ainsi que du DCF/Cofedec avaient lancé une motion de défiance contre lui. Selon un rapport de la commission économico financière de l’assemblée provinciale, présenté à cet effet, le gouverneur Paluku aurait à l’époque détourné plus de 372 000 USD des recettes perçues sur le droit de péage des routes dans la province. Ces recettes auraient été orientées dans un compte privé dit : « Comité provincial de péage route », dont la présidence est assurée par le gouverneur lui-même.
Mais si le gouverneur Paluku s’en était bien tiré, la motion de défiance lancée contre lui ayant été rejetée le 1er décembre 2007 par la plénière de l’assemblée provinciale à l’issue d’un vote : 27 députés provinciaux s'étaient exprimés contre la motion de défiance et quinze autres, pour, la justice ne l’a pourtant pas lâché.
Le phénomène ne s’étant pas arrêté-là, le Kasaï Occidental a été contaminé. Ici, le gouverneur Trésor Kapuku avait aussi connu la rigueur de la motion de censure, quelque trois mois seulement après son installation à la tête de l’exécutif provincial. La motion de défiance contre le gouverneur, votée le jeudi 7 juin 2007 par l’Assemblée provinciale, exigeait sa démission ainsi celle de toute son équipe gouvernementale sont constitutionnellement réputés démissionnaires.
Par ailleurs, la décentralisation a fait resurgir des conflits identitaires à caractère régionaliste – ‘’provincialiste’’ à travers les provinces. Lors de la rentrée parlementaire de septembre 2008, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, avait souligné ce point. « Pour d’autres acteurs politiques, la décentralisation signifie le retour du pouvoir dans les terroirs. C’est ainsi que l’on assiste à une accentuation du régionalisme, à une résurgence des conflits identitaires », avait-il fait remarquer. Le Bas-Congo et le Katanga avaient tenté de s’illustrer dans ce sens. Dans le Bas-Congo, le mouvement Bundu dia Kongo (BDK) considère les Congolais venus d’ailleurs comme « des étrangers » n’ayant pas le droit d’occuper des postes les plus élevés dans les entreprises publiques installées dans cette province, tandis qu’au Katanga, le maire de Lubumbashi s’était illustré en instaurant des visas d’entrée dans la ville de Lubumbashi pour tous les Congolais originaires d’autres provinces. La mesure a eu un tel tollé dans l’opinion nationale que l’autorité centrale s’est vue interpeller et l’a vite rappelé à l’ordre.
Le grand problème qui se pose aujourd’hui est celui du découpage territorial prévu par
Selon Jean-Claude Bruneau, professeur de géographie université de Montpellier, « le redécoupage administratif instauré n’a rien d’une première, puisque la scissiparité territoriale fut un processus récurrent tout au long des 125 années d’existence politique du Congo… » (…) « Au début, l’Etat léopoldien répartit son domaine en districts assez flous (11 en 1888, 15 en 1895). Ensuite, avec l’instauration du système colonial véritable, l’encadrement de l’espace et des hommes se renforce peu à peu, notamment afin de geler l’ancienne mobilité des groupes ethniques en les territorialisant. Dès 1914, le Congo Belge est restructuré en 4 grandes provinces, le Congo-Kasaï, l’Equateur,
« En 1933, au prétexte de la crise mondiale, l’autonomie de gestion jusqu’alors assez large des provinces est sévèrement rognée, leur nombre passe à 6, et elles prennent le nom de leur chef-lieu : provinces de Léopoldville et Lusambo (par scission du Congo-Kasaï), de Coquilhatville (l’ex-Equateur), de Stanleyville et Costermansville (par scission de
« A l’échelle régionale, le morcellement va reprendre après l’indépendance. Au tout début certes, sous l’imperium contradictoire du président Joseph Kasavubu, fédéraliste, et du Premier ministre Patrice-Emery Lumumba, unitariste, sont maintenues les 6 provinces héritées des Belges mais redevenues – cette fois politiquement – autonomes. Mais dès 1962, le chaos de la guerre civile débouche sur leur remplacement de facto par 21 entités bien plus petites, et vite affublées du surnom de « provincettes » : autonomes toujours, elles ont surtout une connotation ouvertement ethnique, ce qu’illustre leur architecture d’ensemble plus ou moins inspirée des anciens districts, mais intégrant aussi – pour y faire pièce – les deux zones en sécession du Sud-Kasaï (d’Albert Kalonji) et du Sud-Katanga (de Moïse Tshombe) (C.R.I.S.P., 1963). Bien que consacrées par
« A partir de 1965 en effet, le régime nouveau de Joseph-Désiré Mobutu cherche à raffermir l’unité du pays. Dans cette optique, il revient à l’organigramme colonial, tout en changeant l’intitulé des divers échelons – on parlera de régions, de sous-régions ou villes, et de zones – et surtout en les vidant de toute réalité politique. Bientôt, en vertu de son idéologie de « retour à l’authenticité », Mobutu rebaptise non seulement le Congo lui-même, qui devient le Zaïre, mais aussi plusieurs provinces. Si l’Equateur et le Kivu gardent leur nom, le Katanga et
« A cette situation, le régime imposé en 1997 par le coup de force de Laurent-Désiré Kabila n’est pas en mesure de changer grand-chose. Consacrant le canevas territorial en place, il se borne à rétablir les anciens intitulés (provinces, districts et territoires), et à restaurer quelques dénominations d’avant Mobutu : le Zaïre redevient le Congo, et l’on voit renaître le Bas-Congo, le Katanga,
La naissance des nouvelles provinces
Kinshasa, capitale de
Le Kongo Central va remplacer le Bas-Congo, qui, exceptionnellement, a échappé à l’émiettement qu’ont subi les autres anciennes provinces. L’un des principaux greniers du pays, la province du Kongo Central forme le corridor vital de
Le Bandundu est scindé en trois provinces. Au sud, le Kwango n’est que maigrement occupé par les Yaka, les Pelende et les Suku. Au centre, le Kwilu est bien mieux peuplé avec notamment les Pende, les Mbala, les Yanzi et les Mbun. La ville majeure est Kikwit, longtemps pépinière d’intellectuels, qui redevient chef-lieu de province aux dépens de Bandundu (ville) ; du coup celle-ci revendique un rôle similaire dans le Maï-Ndombe limitrophe. Multiethniques, les provinces de Kwango et de Kwilu restent unies par l’usage véhiculaire du kikongo. Le Maï-Ndombe, plus au nord, est bien distinct. Son peuplement, composite et diffus, inclut côté fleuve les Teke, présents au Congo-Brazzaville et même au Gabon ; mais ici leur district des Plateaux, de création récente, semble voué à disparaître.
L’Equateur est émietté en cinq provinces. Celles de la cuvette forestière, au sud, incluent un Equateur très réduit (autour de Mbandaka),
La scission de
Le Kivu ancien n’existe plus depuis qu’en 1988, en donnant le Maniema forestier est peu occupé par les Komo, les Bangubangu, ou les quelques Waswahili musulmans du fleuve, le Nord-Kivu occupé par les Nande et le Sud-Kivu, occupé par les Shi, Havu, Fuliru, Bembe ou Rega.
La province du Katanga, elle, est scindée en quatre provinces : le Tanganika (est, très rurale, est la terre des Hemba et des Tumbwe ; le Haut-Lomami (centre-nord, très rural, occupé par les Luba-Katanga), le Haut-Katanga, (sud) est le « scandale géologique » qui a enrichi l’Union minière, puis
Le Kasaï ancien va donner naissance à cinq provinces : le Kasaï-Oriental , occupé par les Luba – dont Etienne Tshisekedi fait partie - réputés contestataire; le Kasaï-Occidental, occupé par les Lulua,. Songye et Kanyoka obtiennent ainsi le Lomami, occupé par les Songye et les Kanyoka avec la ville-gare de Muene-Ditu (porte d’accès à Mbuji-Mayi), laquelle dispute à Kabinda le rôle de capitale de la province ; et le Sankuru, revient aux Tetela (héritiers de Patrice Lumbumba), le Kasaï-Central (avec Kananga) et le nouveau Kasaï (avec les diamants de Tshikapa) restent à dominante lulua.
Mais, à quand le passage de 11 à 26 provinces ?
Mais, à quand le passage de 11 à 26 provinces ? C’est-à-dire à quand la concrétisation du découpage territorial tel que voulu par le constituant ?
Cette question pose la véritable problématique du découpage territorial qui suscite maints débats, alors que l’on s’approche inexorablement de la date butoir. En effet,
Passons aux calculs pour déterminer la date à laquelle le découpage territorial est censé être effectif. Et partant de l’entrée en fonction du président de
La question mérite d’être posée : le gouvernement est-il prêt à passer au découpage territorial et à la mise en place de ces nouvelles administrations territoriales, vu le temps qui reste? A l’ouverture de la session de septembre 2008, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale, Lutundula Apala, faisant office de président de la chambre basse du Parlement, avait lancé, dans son mot de circonstance, sa réflexion sur la faisabilité de cette disposition constitutionnelle doutant des possibilités que pourrait avoir le gouvernement congolais pour mener à bien cette opération de division territoriale et d’installation de nouvelles provinces. Il n’avait pas du tout tort. Son appréhension est fort justifiée.
Tout en saluant la nécessité d’avoir plusieurs provinces, cet élu du peuple relevait néanmoins le caractère réaliste de la faisabilité de cette disposition et demandait que l’on y songe dès l’instant pour préparer d’autres dispositions constitutionnelles, si nécessaire pour ne pas se retrouver dans un blocage à la veille du délai fixé par
Répondant aux préoccupations des députés lors d’un de ses passages à la tribune de l’Assemblée nationale, l’ancien ministre de l’Intérieur, Denis Kalume Numbi, avait montré un chronogramme de passage à 26 provinces qui, à ce jour, est resté lettre morte, alors que le compte à rebours a déjà commencé.
Le découpage territorial a plus de chance de ne pas être effectif à la date butoir, plusieurs obstacles risquant de l’en empêcher. Au nombre de ces obstacles, l’absence de campagne de sensibilisation auprès de la population censée intérioriser et connaître cette nouvelle division géographique du territoire national. Comme l’avait reconnu le ministre de l’Administration du territoire et Décentralisation, Antipas Mbusa Nyamuisi, dans une interview accordée au journal L’Observateur, en janvier 2009, le processus requiert une grande campagne de communication sociale sur la décentralisation en vue d’amener toutes les couches sociales de la population à s’approprier le processus.
Il est revenu, quelques mois plus tard, sur cette campagne au cours d’une conférence de presse en annonçant la mise à disposition par le gouvernement d’un million de dollars américains pour mener, en langues nationales, la prochaine campagne de sensibilisation sur la mise en œuvre de la décentralisation territoriale en RDC. Quand ? Personne ne connaît la date.
Il a indiqué qu’en prélude à cette campagne, l’avant projet de loi portant limitation des provinces de 11 à 26, sera soumise, la semaine qui suivait, au Conseil des ministres avant de chercher à obtenir la sanction du Parlement.
En outre, le ministre Antipas Mbusa Nyamuisi avait reconnu que le processus de décentralisation avait certains impératifs qui se traduisaient parfois en obstacles. Le coût des opérations qui appellent la disponibilsation permanente des ressources matérielles, financières et humaines, les guerres récurrentes et autres affrontements armés dans certaines provinces du pays hypothéquaient la bonne marche du processus. En plus, les inégalités des ressources financières propres entre les provinces risquent de constituer aussi d’autres obstacles au transfert effectif des compétences et des charges aux provinces.
L’article 2 de
Les débats que suscite cette question provoque des avis partagés. Pour le professeur Philippe Biyoya Makutu, « le vrai problème n’est pas celui des délais, mais du manque de stratégie. Le découpage devient un problème lorsqu’on ne lui donne qu’un contenu politico-administratif. Le principe devrait être maintenu et encouragé ». Un proche de la présidence estime, quant à lui, qu’ « il est plus raisonnable que la décentralisation soit d’abord expérimentée dans les provinces ayant toutes les infrastructures, tous les moyens humains et matériels, avant de créer de nouvelles provinces. C’est la voie la plus objective si nous voulons être rationnels ».
La question du découpage territorial ne se pose pas seulement en termes de délais. Elle concerne également la cohésion nationale. Une mission des partenaires de
Le gouvernement et ses partenaires bilatéraux ne lésinent pas sur les moyens pour consacrer à la décentralisation des ateliers et des séminaires. Par exemple, ce forum national sur la décentralisation tenu du 3 au 5 octobre 2008 au Grand Hôtel Kinshasa et dont le sénateur Jacques Mbadu Nsitu, ancien gouverneur du Bas-Congo, avait fait une importante restitution devant députés et sénateurs lundi 8 octobre.
" Problématique du découpage territorial de
Comme un géographe, il a démontré, en s’appuyant sur des chiffres, la nécessité que
Comparez les 2 345 410 Km² de
La comparaison ne s’arrête guère à ce niveau. Mettons-nous à comparer les superficies des provinces actuelles de
Avec ses 503 293 Km²,
Le Bandundu, qui a 295 580 Km², supplante le Royaume Uni (244 100 Km²),
Le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et le Bas-Congo avec respectivement 69 130 Km², 59 483 Km² et 53 920 Km² dépassent largement en superficie les Pays-Bas (34 182 Km²),
Quant à la ville de Kinshasa avec ses 9 965 Km² de superficie, elle est 3 fois plus étendue que le Luxembourg (2 586 Km²).
Forts de toutes ces données, les défenseurs de la décentralisation ne peuvent trouver que des arguments solides à leur cause en soutenant l'opération du découpage du territoire national, devenant ainsi une opportunité. La situation socio économique de beaucoup de provinces de
Toutefois, cette opportunité présente des faiblesses dans la mesure où le découpage actuel a pour socle la transformation des anciens districts en provinces, excepté le Bas-Congo.
Dans son analyse très pertinente, le sénateur Jacques Mbadu a relevé certaines faiblesses dans le chef des constituants. Pour lui, des critères objectifs de viabilité des nouvelles provinces à créer n’ont pas été pris en compte.
« En effet, il n'y a eu ni recensement des populations, ni consultation préalable des populations concernées, ni inventaire des ressources disponibles dans chaque province à créer, ni consolidation du sentiment du vouloir-vivre collectif, ni formation des experts et animateurs de
Aussi s’interroge-t-il sur les critères à base desquels on a décidé du découpage des provinces. N’y a-t-il pas eu d’autres critères, par exemple ethniques, d’autant que bon nombre de provinces plus peuplées que d’autres seront découpées en nombre inférieur de provinces que d’autres peu peuplées ?« Nous nous demandons alors si le seul critère qui consiste à faire des anciens districts des provinces suffit pour asseoir le découpage territorial », s’est-il demandé. Que dire de «
Ici, il est important de faire remarquer le nombre des populations de ces provinces, partant de toute
Le sénateur Jacques Mbadu est allé plus loin en faisant remarquer que la superficie de la nouvelle province du Kasaï Oriental créée (ou à créer) avec ses 9 481 Km², est moins étendue que la ville-province de Kinshasa qui a 9 965 Km² et vaut plus de 5 fois moins que l’actuel Bas-Congo avec ses 53 920 Km².
Il a fait remarquer que la configuration de certaines nouvelles provinces créées repose sur des critères purement ethniques. Voici les exemples qui étayent ses affirmations. « Il s'agit notamment des provinces ci-après : le Kasaï Oriental est exclusivement pour les Baluba ; le Kabinda pour les Basonge ; le Sankuru pour les Batetela ; le Kasaï Occidental pour les Lulua ; le Nord-Oubangi pour les Ngbandi et nous en passons … »
Faute d’avoir fondé le découpage territorial sur des critères objectifs, il y a lieu de crainte un retour de la manivelle, surtout lorsque les critères ethniques ont prévalu dans ce découpage. Donc, comme l’a prédit le sénateur Jacques Mbadu, le découpage territorial risque d’apporter plus de problèmes au pays qu’il en résoudra.
Que dire du cadre juridique devant régir la nouvelle gestion territoriale du pays ? Peu de réalisations ont été faites quant aux lois devant régir la décentralisation.
La décentralisation, telle que voulue par
Dans cette même interview, Antipas Mbusa Nyamuisi avait déclaré que la mise en œuvre effective du processus de décentralisation exigeait une série de lois organiques qui devraient être édictées. Des 13 lois à édicter, cinq seulement sont déjà édictées, à ce jour, à savoir :
Aujourd’hui, la constatation est fort inquiétante : alors que la date butoir approche très vite, d’autres lois tardent encore d’être promulguées. Plusieurs autres projets de lois sont en examen, soit au niveau du Parlement, soit au niveau du Gouvernement. C’est le cas notamment de la loi organique sur les subdivisions territoriales à l’intérieur des provinces et sur les entités territoriales déconcentrées, provinciales et des entités décentralisées et la loi sur la commission électorale nationale indépendante qui sont en examen au Parlement. Tandis que l’avant-projet de loi portant fixant des limites des provinces et celle de la ville de Kinshasa est soumis au Conseil des ministres pour adoption, par contre, la loi financière, la loi sur la nouvelle nomenclature des taxes des provinces et des entités territoriales décentralisées et la modalité de leur répartition, la loi organique portant organisation et fonctionnement de na Caisse nationale de péréquation, la loi organique portant organisation et fonctionnement des services publics du pouvoir central, la loi sur les statuts des chefs coutumiers, sont encore en élaboration aux ministères techniques concernés.
Entre l’examen de ces lois soit au Conseil des ministres pour adoption, soit leur examen au Parlement pour leur vote, avant leur promulgation par le chef de l’Etat, le chemin est long, d’autant qu’une dizaine de lois attendent ce long processus. Entre temps, le temps presse…
Et que dire de l’application de certaines de ces lois déjà votées et promulguées ? Il y a du chemin à parcourir avant de voir le bout du tunnel.
Jacques Mbadu relève quelques contradictions à ce sujet. « Des dispositions constitutionnelles, fait-il remarquer, comme celles de l'article 175 portant sur la rétrocession aux provinces ou la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national donnent lieu à des interprétations contradictoires dont voici quelques-unes : A ce sujet, dans les provinces actuellement appelées ''G3'', à savoir les provinces du Bas- Congo, du Katanga et la ville de Kinshasa, certains crient haut et fort que ces 40 % concernent bel et bien les recettes perçues dans les provinces.
Par contre, dans les 8 autres provinces appelées ''G8'', d'autres déclarent qu'il s'agit de 40% des recettes produites dans l'ensemble du pays et qu'il faut rétrocéder équitablement à toutes les provinces. «
Il va plus loin dans son analyse. « Que dire des recettes de grandes entreprises dont la répartition est aussi querellée ? », S’interroge-t-il cet ancien chef de l’exécutif provincial. « En effet, certaines sociétés payent leurs impôts à Kinshasa alors que les richesses ont été créées dans plusieurs provinces à la fois. C'est le cas de
La rétrocession des recettes des pétroliers producteurs au Bas-Congo présage des violents orages en perspective. Il en est de même des recettes issues des transactions douanières à l'import comme à l'export qui bénéficient aux provinces du Bas-Congo et du Katanga alors qu'elles ne sont ni consommatrices finales des marchandises importées ni productrices des biens exportés », note-t-il.
Il conseille de « trouver la meilleure interprétation possible afin d'éviter des disputes interminables. La route est donc, vous en conviendrez avec nous, semée d'embûches. Il nous faut trouver des mécanismes pour contourner ces difficultés et trouver des réponses adéquates ».
Il conclut « que le découpage territorial de
Tout compte fait, il faut donner à la décentralisation la chance de réussir. Il faut donc lui donner du temps, beaucoup de temps. Pour cela, « le découpage », qui découle de la décentralisation, « doit se faire de façon rationnelle avec la mise en place, outre de la loi sur
Puisque « tout ce qui se fait contre le temps est souvent » voué à l’échec et que « rien n'est donc impossible avec le temps », que " rien ne sert de courir, il faut partir à temps ", qu’ « aucun pays ne s'est construit en un jour, mais il faut toujours commencer quelque part et tenir compte du temps », Jacques Mbadu conseille de « commencer par rassembler toutes les données démographiques de
Le PNUD, l’un des bailleurs de fonds de
La décentralisation est un processus qui requiert non seulement beaucoup de temps, mais aussi beaucoup de moyens tant financiers que matériels, mais aussi une dose remarquable de volonté politique. Aussi faudra-t-il éviter de faire les choses dans la précipitation.
Quoique des pays occidentaux –européens et américains aient réussi à asseoir cette façon de gérer la chose publique, et africains soient en train d’y cheminer, clopin-clopant, cette mode de gestion ne répond à aucun modèle sur lequel s’appuyer pour réussir le sien. Il appartient donc à chaque pays de modeler sa décentralisation en fonction de ses besoins et des contraintes qui lui sont propres. Comme quoi, la décentralisation, même si elle obéit à des principes généraux, ce processus est long et compliqué. C’est du sur-mesure et non du prêt-à-porter. C’est aussi là sa complicité.
Cependant, il n’est pas interdit de s’inspirer d’exemples de décentralisation réussis comme celui du Canada, d’Allemagne, et des pays africains comme le Mali, le Sénégal et l’Afrique du Sud, qui sont en train de faire des progrès considérables dans ce domaine. Mais aucun de ces exemples ne peut être transposé en République démocratique du Congo, chaque pays étant unique en ce qui concerne ses réalités géographiques, démographiques, historiques, culturelles, ethniques, tribales…
Le découpage territorial, une mission impossible ? Non, il faut du temps, des moyens, mais surtout de la volonté politique pour le réussir. Il se fait qu’à ce jour, tout cela est loin d’être au rendez-vous.
Très intéressant article pour l'observateur extérieur que je suis. Il témoigne aussi, entre les lignes, du formidable potentiel de cet immense pays qu'est le Congo! Le défi est gigantesque et je souhaite de tout coeur que les Congolais le réussissent.
RépondreSupprimerCordialement,
Jean-Luc Ernst
www.stanleyville.be