lundi 6 juillet 2009

L’obtention du passeport biométrique : un long chemin très coûteux




Une longue et fatigante attente de près de 2 mois
L’obtention du passeport biométrique : un long chemin très coûteux
Près de 300 dollars, un mois et trois semaines d’attente, d’incessants déplacements entre mon domicile et les ministères de la Justice, des Affaires étrangères, la Police judiciaire des parquets, des coups de fil quotidiens pour vérifier le niveau d’avancement des démarches, toute une paperasse à photocopier : voilà ce que le fameux passeport biométrique m’a coûté. Le tout dans une attente très stressante et infiniment longue. Voici comment j’ai pu obtenir ce document tant convoité à l’issue d’une série de 7 étapes : certificat de nationalité congolaise (CNC), Extrait du casier judiciaire, Achat du formulaire de demande de passeport, dépôt de 150 dollars à la BIAC, Direction de l’identification, Centre de capture, retrait du passeport…Un long chemin que les impatients feraient mieux de ne pas emprunter. Car, même muni du CNC et de l’extrait du casier judiciaire, il est impossible d’obtenir son passeport biométrique après les 4 jours officiels ! J’en ai fait l’amère expérience.
Mardi 12 mai. Je décide, comme bien d’autres Congolais, de m’offrir un passeport biométrique, le document le plus cher et le plus convoité par les Congolais, en ce moment. Cap ministère de la Justice pour le CNC. Le Bureau d’exécution des jugements, élaboration et exécution du budget est affecté momentanément à cette tâche. Il ne désemplit pas. Les requérants y entrent et en sortent constamment.
Un agent, M. Kisalu Mebanda [nom d’emprunt que je lui colle], est derrière une montagne de fardes et autres dossiers. Il est presque dépassé, en servant entre deux coups de fil, sortant et rentrant constamment. En descendant au guichet de la Biac pour nous renseigner sur le taux de change en dollar, le garçon qui m’accompagne, me confie. « Awa soki ofongoli miso te, pasi. Soki ovandi na ndako nayo, kaka ba coups de téléphone, mawa trop » (Ici, si vous n’êtes pas vigilant, c’est difficile. Si vous préférez rester chez vous et n’utiliser que le téléphoner pour vous renseigner, c’est malheureux), me déclare-t-il. Et d’ajouter « Tika na fongola yo. 30 dollars oyo basengi yo, eza officiel te. En réalité, basengaka 15 dollars, 15 dollars mosusu eza ya bango moko » (Laissez-moi vous dévoiler tout : des 30 dollars qu’on vous a demandés, 15 dollars sont officiels, les 15 autres c’est pour eux-mêmes), me confie-t-il, en m’invitant à la discrétion.
Trois jours après, j’atterris à la Police judiciaire des parquets pour l’obtention de l’Extrait du casier judiciaire. Comme au ministère de la Justice, ici, l’affluence est aussi totale. Une connaissance me facilite les démarches. C’est un inspecteur. Il prend soin de remplir lui-même la fiche décadactylaire qui me coûte 2 300 FC, car, me déclare-t-il, la précision des données est exigée à telle enseigne qu’une moindre erreur annulerait le document. La fiche remplie, je me fais prélever des empreintes digitales. Deux agents s’y affairent. Le garçon qui prélève les empreintes digitales me rafle 1000 FC de pourboire. « Papa, awa okopesa ngai kaka Vitalo moko, eza na 1000 FC » (Papa, vous allez me remettre seulement l’équivalent d’une bouteille de Vital’o, 1000 FC), me souffle-t-il d’une voix inaudible. L’inspecteur me demande de repasser dans deux semaines. C’est finalement le 2 juin que je retire mon extrait du casier judiciaire : 18 jours après !
Trois semaines plus tard, pas de CNC. Vendredi 5 juin, je fais un tour chez Kisalu Mebanda. Je découvre une magouille dans le chef de cet agent, la soixantaine. La farde contenant mon dossier porte ces annotations : frais (écrit au crayon) et AN (écrit au stylo rouge) – qui peut signifier Attestation de naissance. Après avoir retiré une farde dans un tiroir, il sort dans le couloir pour vérifier Dieu seul sait quoi. « Attends-moi », me demande-t-il. Il rentre quelques minutes plus tard et se met à gommer les annotations « frais » et biffer « AN ». Pourquoi est-il sorti vérifier, loin de mon regard ? Qu’a-t-il vérifié ? Que signifiaient « frais » et « AN » écrits sur ma farde ? Voudraient-ils dire que je n’avais pas encore versé les 30 dollars de Certificat de nationalité congolais ni déposé l’Attestation de naissance ? C’est depuis le 12 mai que j’ai versé les 30 dollars pour le CNC et que l’Attestation de naissance a été déposée le 15 mai. L’attitude de cet homme, que d’autres appelaient « Maître », me paraît suspecte.
Je rentre déçu. Je me mets à maugréer à bord du taxi qui me transporte avec trois autres passagers. Le quatrième, se présentant comme un agent du ministère de la Justice, se met à nous expliquer la procédure d’obtention du CNC et de l’extrait du casier judiciaire, condamnant en même temps la décision du ministre de la Justice Luzolo Bambi, quoique très occupé, de signer lui-même tout CNC, à la place de l’Attestation tenant lieu de CNC, qui était délivré auparavant. Il descend du taxi en me promettant de parler à son collègue Kisalu Mebanda.
C’est finalement le 9 juin que je retire mon…attestation tenant lieu de certificat de nationalité congolaise, au lieu du CNC : 29 jours après ! Avant de me la remettre, comme d’habitude, il va se retirer dans le couloir avec sa mythique farde. Il m’y appelle et me remet le document. Je lui demande si ce document est un authentique et qu’il ne peut pas me poser des problèmes. Kisalu Mebanda me rassure que je détiens un document en bonne et due forme et que c’est une attestation tenant lieu de CNC, parce que face aux multiples demandes, le ministre Luzolo Bambi a dû déléguer ses pouvoirs. Je le quitte sans me convaincre. Le policier à la réception du ministère de la Justice, auprès de qui je me confie, me rassure également. Lui non plus ne me convainc, étant des oiseaux de même plumage, me suis-je dit. Somme toute, je n’aurai plus à escalader les 28 marches de l’escalier de ce ministère que j’ai escaladés…à six reprises ! Mes inquiétudes vont s’accentuer lorsque je découvre plus tard que ce document porte la date du…10 avril 2009, alors qu’après en avoir amorcé les démarches le 12 mai, je l’ai obtenu le 9 juin. Alors pourquoi porte-t-il cette date ? La réponse au mystérieux Kisalu Mebanda et sa clique.

Vive la voie officieuse ou le « coup direct »
Le garçon, qui me photocopie le document, renforce mes appréhensions. Voici sa réponse lorsque je lui lance, en blaguant, « Mikol’oyo bozo lia kitoko ! » (Vous trouvez votre compte financièrement en ces moments) [Face aux nombreux documents à photocopier] : « Mikol’oyo lisusu te, kala nde. Mikol’oyo batu bazo préférer coup direct, mpo ezo wumela trop » (Nous nous retrouvions hier, mais pas maintenant. Aujourd’hui, les gens préfèrent le coup direct [la voie officieuse, NDLR], car le document prend trop de temps). Vive donc la voie officieuse ou le coup direct.
Le 11juin, cap de nouveau ministère des Affaires étrangères pour la 3ème étape : l’achat du formulaire de demande de passeport pour 20 dollars. Porteurs de FC et les pressés s’abstenir ! Comme partout ailleurs, le requérant doit s’armer de beaucoup de patience à la 4ème étape : dépôt de 150 dollars pour le passeport biométrique, et de 5 dollars de frais bancaires au guichet de la Biac, dans une petite salle qui ne désemplit pas. J’y passe une quarantaine de minutes pour déposer et retirer trois documents (attestation de paiement de la DGRAD, reçu et note de perception).
Toute cette paperasse en main, direction Direction de l’identification où grouillent beaucoup de requérants piaffant d’impatience, et une dizaine d’agents occupant chacun une table et deux chaises. La 5ème étape est l’une des plus lassantes. Je suis accueilli par l’un des agents qui m’identifie sur une fiche, avant de me faire prendre les empreintes digitales par un autre agent, qui est tout, sauf pressé.

« Etes-vous de BDK ? »
Après avoir lu attentivement mon nom, l’agent lance, en guise d’entrée en matière : « Oh ! Mpangi a munu ! » (Oh! L’un des miens!) S’exclame-t-il. L’esprit aux aguets, je ne me laisse pas impressionner. Après s’être rendu compte qu’il a affaire à un journaliste, il ajoute : « Okanisaka nini na démocratie na RDC ? » (Que pensez-vous de la démocratie en RDC). Ah ! ce « frère » croit vraiment m’avoir facilement en m’attendant répondre comme le tonitruant Gabriel Mokia ! Ma réplique est sans équivoque, à malin, malin et demi. « Démocratie ezali processus molayi. Ba résultats nango eyaka malembe-malembe. Ba mboka lokola Etats-Unis, France bawuti mosika » (La démocratie est un long processus dont les résultats sont également lents à obtenir. Des pays comme les Etats-Unis et la France viennent de loin). L’agent est loin de me lâcher. « Oza mutu ya Bundu dia Kongo ? » (Vous êtes membre de Bundu dia Kongo ?) Ma réplique ne se fait pas attendre. « Pourquoi prenez-vous tous les ressortissants du Bas-Congo pour des membres de BDK ? C’est comme ceux qui estiment que tous les Baluba sont des membres de l’UDPS et que ceux du Bandundu membres du Palu ». Cet uppercut l’atteint au point sensible. Il répond par un sourire.
Mon identification terminée, il lance son hameçon. « Quand voulez-vous avoir votre passeport ? » « Même aujourd’hui ou demain ! », je lui réponds. Sa prise assurée, il ne lâche pas prise. « Si vous donnez 20 dollars au chef, il traitera rapidement votre dossier ». Le marché se conclut avec 7 500 FC, l’équivalent de 10 dollars, qu’il empoche comme un pickpocket, avant de me demander de rentrer vérifier mon nom le 17 juin. Après la prise d’empreintes digitales, je remarque qu’une trentaine de minutes viennent d’être consommées.
Après plusieurs jours d’attente infructueuse, le bordereau où mon nom est inscrit ne sera publié que le 22 juin alors qu’il est daté du 13 juin ! Quel désordre !
Intervient alors la 6ème étape, l’une des plus cruciales : le Centre de « capture » où, en plus de billets de banque, le requérant doit se munir de beaucoup de patience. 23 juin, une grande foule attend impatiemment, chacun son tour pour se faire « capturer ». Pendant cette attente, un agent, qui se présente comme le chef du Centre, nous conseille. « Ici, quand vous êtes pressés, rentrez chez vous », dit-il. Entre-temps, un de nombreux requérants fait cette constatation : « Ici, tout le monde se fait important, comme ces policiers ». Ils sont trois à la porte pour assurer l’entrée. J’arrive au bout de cette étape 3 jours après.

« Prouvez que nous sommes corrompus »
Mardi 24 juin, j’attends toute la journée, dépité. Tous les requérants candidats à la capture sont impatients. Les esprits sont surchauffés et le désordre est à son comble. Celui qui passe pour être le numéro un du Centre, un certain Jean-Luc, que j’apprécie beaucoup pour son tempérament et son esprit franc, vient s’implanter devant nous. Il calme le jeu. Il cite toutes les catégories de personnes prioritaires ou les urgences : les personnes ayant payé cash 320 dollars, les enfants de 0 à 13 ans, les vieillards, les agents des ministères, ceux des services de renseignements. Pragmatique, à cette liste, il ajoute aussi les connaissances. « A supposer que je découvre parmi vous une personne qui m’avait sauvé la vie, croyez-vous vraiment que je vais la laisser traîner ? ». Lui parti, le désordre refait surface. Les trois policiers commis à la porte vont se faire soudoyer à la vue de tous. Interpellé, l’un d’eux répond avec culot : « Montrez-nous les preuves ! » Il a raison : qui est capable de distinguer l’argent de corruption à celui d’un salaire, par exemple ?
La capture est si lente qu’elle excède les 10 minutes déclarées par Jean-Luc. Elle va au-delà de trois quarts d’heures, voire une heure.
Mercredi 24 juin, je décide de passer à la grande vitesse, de faire comme les autres, de me jeter à l’eau. Je décide de mettre momentanément en veilleuse mon honnêteté. Le policier que j’aborde me demande trois bières. Je lui remets 2 000 FC, l’équivalent de deux bières. « Attendez », me dit-il joyeusement, avant de se lever très courageusement ; ses deux bières empochées.
Le coup a porté. Je n’attends que quelque deux minutes et une voix appelle mon nom. J’ai même honte d’accepter. « Que diront ceux qui m’ont vu venir ? » M’interrogé-je. Il est 10h02’. Une quarantaine de minutes plus tard, c’est tout souriant que je sors du Centre, en lâchant en sourdine un ouf de soulagement. Le rendez-vous est pris dans 5 jours pour le retrait du passeport.
Le retrait du passeport, la 7ème et dernière étape, est pour moi la moins longue et la moins coûteuse. Mais j’y perds quand même quelques plumes. Toutes les formalités remplies, la femme qui me sert a une savante manière de se remplir le sac. « Donnez-moi 500 FC », me dit-elle, après avoir exigé 1000 FC à la personne qui m’a précédé, pour une farde qui coûte…200 FC. Le fameux document en poche, tout joyeux, le détenteur du passeport n’hésite pas à débourser même 2 000 FC. Lorsqu’on fait le compte, la moisson est abondante toute la journée.
Une fois à l’extérieur, je prends soin de regarder calmement, pendant quelques minutes ce document si précieux, si mystifié et si convoité par les Congolais. Je quitte le ministère des Affaires étrangères, bien déplumé, au propre et au figuré, le passeport précieusement protégé. Je ne suis vraiment pas prêt à refaire ce long chemin. Pour tout l’or du monde. Cependant, le rendez-vous est pris pour 2014.
André Mumpasi Mbakidikio

Passeport biométrique : diverses dépenses
Frais passeport : 150 dollars
Frais bancaires : 5 dollars
Formulaire de demande de passeport : 20 dollars
Certificat de nationalité congolaise (ou attestation tenant lieu) : 30 dollars
Frais bancaires : 3 000 FC
Extrait de casier judiciaire : 30 dollars
Frais bancaires : 3 000 FC
Fiche décadactylaire : 2 300 FC
Attestation de naissance : 8 000 FC (10 dollars)
Frais de déplacement : 9 600 FC
Frais de communication (appels téléphoniques) : 3 050 FC
Frais de photocopies : 1 750 FC
Frais de dessous de table : 10 800 FC
Total - en dollars : 235 dollars
- en FC : 41 500 FC

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