Où se font
soigner nos chefs d’Etat ?
Nous
avons montré pour quelles raisons les dirigeants de ce monde cachent leurs
maladies, même si leur apparence physique contredit leur déni, voyons l’hôpital
que ceux qui nous gouvernent préfèrent se faire soigner, à l’abri de toute
curiosité naturelle et technologique. La majeure partie des Présidents africains subissent pour la plupart leurs
traitements médicaux en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie. Et pourquoi donc ?
Qualité des soins, appui de l’Etat français et discrétion : la
France est l’une des destinations privilégiées des chefs d’Etats malades. Qu’ils
viennent du Maghreb ou d’Afrique centrale, l’hôpital militaire du Val-de-Grâce
de Paris et l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine au 63 Bd Victor Hugo en région parisienne sont plébiscités par
les chefs d’Etat malades. Les hôpitaux de France et de la Suisse sont les plus
préférés par les chefs d’Etat, même s’ils se rendent aussi dans d’autres pays.
Le Val-de-Grâce
reste l’hôpital des puissants, de ces malades qui nous gouvernent. Les
militaires qui l'appellent brièvement "le Val", assurent devant les journalistes curieux qu'il s'agit
là d'un "hôpital absolument comme les autres". La réalité
est cependant que le grand public n'en voit, à la télévision, que les mêmes
clichés : journalistes qui patientent devant l'entrée quand un président y est
hospitalisé ; badauds qui viennent battre le trottoir, lors de la mort d'une
personnalité populaire. Mais aucune caméra n'est jamais admise à l'intérieur.
Un
enjeu et un secret
Dans cet hôpital,
apprend-on, la santé des grands de ce monde y est un enjeu et un secret.
Médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers, administration financière et un
tiers des aides-soignants sont militaires et ont fait l'objet d'une enquête
garantissant leur loyauté. "Ils ont tous prêté serment,
souligne le médecin-chef Anne Robert, qui contrôle d'une main de fer la
communication de l'hôpital. Ils sont soumis, au-delà du secret médical,
au secret- défense."
De grandes précautions en
faveur de grandes personnalités comme des chefs d’Etat ou des dirigeants de multinationales.
N’est-ce pas que la nouvelle de la maladie et de la mort d’un chef d’Etat peut
entraîner les intrigues, les guerres de succession, les renversements de
régime ?
L’hôpital de Val-de-Grâce n’est pas discriminatoire. Il reçoit tous les
patients : riches et pauvres. A la seule distinction que le commun des
mortels, qui peut se faire admettre pour un simple bobo, pourra alors y entrer par
l'entrée qui donne sur le boulevard de Port-Royal, animé par les marchés et la
circulation. Tandis que les présidents, les ministres, les grands patrons, eux,
entrent le plus souvent par la rue Saint-Jacques, plus discrète. Là, il suffit
de traverser l'ancien hôpital militaire, de passer devant la somptueuse abbaye
royale du XVIIe siècle et de contourner le nouveau bâtiment
hospitalier - cinq étages et deux sous-sols - que les médecins et infirmiers
appellent en riant "la vertèbre".
Des patients
importants sous des pseudonymes
Pour brouiller toute
trace, on fait inscrire les patients les plus importants sous de pseudonyme.
Comme le 7 novembre 1981, lorsque le malade François Mitterrand qui y est
admis, car souffrant d’une douleur à la cuisse, se fait affubler du pseudonyme
d’Albert Blot, le nom du beau-frère du général Thomas, directeur de l'hôpital
militaire. Mais, au final, des examens approfondis que va subir le président
français vont révéler ce résultat : une prostate qui a atteint un volume
important. Il faut donc hospitaliser le malade.
Qui refuse : « Pas question », s'insurge
Mitterrand.
Le
patient va décider de consulter le
professeur Steg de l'hôpital Cochin, juste en face du Val-de-Grâce Où il se fera opérer de son cancer de la
prostate en septembre 1992.
Que l'on ne s'imagine pas
le Val-de-Grâce comme un établissement de luxe. Certes, l'atmosphère est plus
feutrée que dans un CHU ordinaire. On s'interpelle moins dans les couloirs. La
nourriture est un peu meilleure. Mais l'administration militaire assure qu'il
n'y a "pas de chambres VIP". Ce n'est pas tout à fait
vrai.
Quand un patient important
est hospitalisé, il dispose d'une chambre à double entrée, et une partie d'un
service lui est réservée. Ses officiers de sécurité, sa famille proche
occuperont les chambres voisines. Pas de luxe particulier dans la chambre. Un
lit, une table de chevet, un fauteuil, rapporte Le Monde dans son site web.
De fait, le "Val" offre la
garantie aux grands de ce monde qu'ils disposeront, au sein d'un hôpital de 350
lits, de services spécialisés en cancérologie, en chirurgie viscérale et
vasculaire, en neurologie et en médecine nucléaire (scintigraphie et tomographe
à positions de la dernière génération). Evidemment, cela n'empêche pas
l'angoisse devant la maladie. "Le déni et la peur de la mort sont
les mêmes chez les puissants et les humbles", assure Bernard Debré,
qui, à l'hôpital Cochin, soigne lui aussi bon nombre de personnalités. Mais ils
gardent une petite chance de repousser un peu plus longtemps les limites de la
vie. Jean-Pierre Chevènement en sait
quelque chose. Son hospitalisation au Val-de-Grâce, le 2 septembre 1998, ne lui
évita pas le grave accident d'anesthésie qui entraîna un arrêt cardiaque de 55
minutes, une rareté.
Aurait-il pu cependant en
réchapper sans séquelles sans le déploiement technique et humain du
"Val" ? Le ministre de l'intérieur se réveilla du coma, flanqué de
tuyaux, incapable de parler. Au médecin qui refusait de le détacher,
Chevènement écrivit donc sur une ardoise : "Primum non
nocere" ("D'abord ne pas nuire"), premier serment
d'Hippocrate. Laissant interdit le personnel médical : "Mais il ne
parle plus qu'en latin ! Il fait une régression..." L'infirmière
voulut l'attacher sur son lit, afin qu'il ne tombe pas pendant son sommeil
: "La police, ici, c'est moi..." Le ministre
répliqua, superbe : "Pas du tout. A Paris, le préfet de police,
c'est moi, et le Val-de-Grâce est à Paris, que je sache."
Ce qui est loin d’être
vrai. Car au Val-de-Grâce, la hiérarchie militaire n'a qu'un référent : le chef
des armées, c'est-à-dire le président de la République. Le 2 septembre 2005,
lorsque Jacques Chirac, alors âgé de 72 ans, ressent de vives céphalées et des
troubles de la vision, seul le médecin militaire de l'Elysée, aussitôt prévenu,
est mis au courant.
Soupçonnant, à juste
titre, un accident vasculaire cérébral, il emmène aussitôt dans une voiture
banalisée le président de la République au Val-de-Grâce. Sans prévenir le Premier
ministre, Dominique de Villepin, ni le ministre de l'intérieur, Nicolas
Sarkozy. Les deux ne seront au courant de la nouvelle que le lendemain en fin
de matinée.
Le chef de l'Etat est
d'ailleurs le seul à être systématiquement informé de l'hospitalisation au
"Val" de personnalités, signe que la santé des puissants relève bien
du sommet de l'Etat. Hospitalisé en urgence le 7 mai 2005, Jean-Pierre Raffarin
raconte : "Les médecins voulaient m'opérer immédiatement,
craignant une pancréatite. Je souhaitais en parler d'abord au président Chirac.
Je n'ai même pas eu besoin de téléphoner. C'est lui qui m'a appelé. Les
militaires du "Val" lui avaient déjà tout raconté. Et il m'a intimé
l'ordre de me faire opérer."
Le chef de l’Autorité
palestinienne, Yasser Arafat, lui, avait choisi d’être interné à l'hôpital
militaire Percy de Clamart (Hauts-de-Seine) en France, du 29 octobre au 11
novembre 2004.
Si le nombre des chefs
d’Etat qui débarquent au grand jour dans des hôpitaux étrangers pour se faire
soigner peut être connu, celui de ceux qui le font en catimini ne peut être
connu que Dieu le Père Créateur.
Val-de-Grâce, un bréviaire sanitaire
Au demeurant,
l’hôpital de Val-de-Grâce de France est reconnu comme un bréviaire sanitaire
pour les têtes couronnées de l’Afrique, surtout au Sud du Sahara. Il ne faut pas être un devin pour savoir pourquoi ceux qui nous dirigent préfèrent aller se
faire soigner ailleurs, même pour un petit bobo, pour nous contraindre presque
à nous faire soigner dans nos hôpitaux. Mais là n’est pas l’objet de notre
propos d’aujourd’hui.
Voici, à titre
exemplatif, la liste de quelques chefs d’Etat africains et les hôpitaux où ils
avaient été internés.
Feu
le Général Gnassingbé Eyadema, du Togo s’était rendu au Centre cardiologique de
Lugano, en Suisse pour des examens cardiovasculaires en janvier 2005. Des
contrôles étaient prévus en mars 2005, lorsque le mal s’est aggravé entraînant
la mort du Général Eyadema le 25 février 2005, à Tunis.
Le
Président Francis Koffi Kwamé Nkrumah est mort le 27 avril 1972 à Bucarest en
Roumanie, d’un cancer de l’estomac, à cette époque il n’exerçait plus de
fonctions officielles.
Le Président
algérien, Houari Boumediene, après avoir été soigné à Moscou, est décédé le 17
décembre 1978 d’une tumeur cérébrale, à l’hôpital Moustapha Bacha, d’Alger.
Le président
angolais, le Dr Agostino Neto, est lui aussi mort à Moscou officiellement des
suites d’une intervention chirurgicale, le 10 septembre 1979.
Le chef de l’Etat
guinéen Sékou Touré, est mort sur la table d’opération du Mémorial
Hôpital, sur les bords du Lac Erié à Cleveland dans l’Ohio aux Etats-Unis
d’Amérique, le 26 mars 1984, souffrant d’une déchirure de l’aorte.
Le Général Seyni
Kountché, président du Niger, est mort le 10 novembre 1987, à l’Hôpital de la
Pitié-Salpêtrière de Paris des suites d’une tumeur cérébrale.
Le 30 novembre
1989, l’ancien président camerounais Ahmadou Babatoura Ahidjo, est décédé en
exil à Dakar au Sénégal, d’une dépression et d’un diabète avancé.
Le 7 décembre
1993, le chef de l’Etat ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, meurt officiellement
à Yamoussoukro, après une opération relative à un cancer généralisé de la
prostate à l’hôpital Cochin à Paris en France.
Le 7 septembre
1997, mourrait à Rabat au Maroc, le Maréchal Mobutu Sésé Séko, ancien président
du Zaïre, des suites d’un cancer généralisé de la prostate, après une opération
au CHIV de Lausanne en Suisse.
Le Muwalimu,
Julus Nyéréré, meurt, lui, le 14 octobre 1999, dans un hôpital londonien des
suites d’une insuffisance rénale.
Qualité des soins et discrétion
Comme on voit, ce
que vont chercher tous les chefs d’Etat patients au Val-de-Grâce, où les médecins sont des militaires, plus que
la sécurité physique, c’est la discrétion et l’appui de l’Etat français.
Pour des chefs
d’Etat habitués aux complots et aux rumeurs, rien de tel que de confier sa
santé à un établissement de la Grande muette, loin des turpitudes domestiques
et de toute intrusion médiatique.
Aux dires de plusieurs
sources consultées, en s’abritant derrière le secret médical et le principe de
non-ingérence – argument discutable lorsqu’un chef d’Etat étranger se trouve
dans un hôpital français –, le ministère des Affaires étrangères a en effet
pris l’habitude de protéger l’allié de passage en observant le plus grand
mutisme.
Kléber Kungu