vendredi 18 février 2011

Abbé François Luyeye : « La marche des Congolais ne doit pas s’arrêter »

16 février 1992-16 février 2011
Abbé François Luyeye : « La marche des Congolais ne doit pas s’arrêter »
Il ya 19 ans depuis que des chrétiens de Kinshasa ont été tués par la soldatesque de Mobutu au cours d'une répression violente et sanglante le 16 février 1992 alors qu'ils marchaient pacifiquement pour réclamer la réouverture des travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS). Les Kinois se sont donc rappelés ces martyrs du 16 févier. « Nous nous sommes réunis ici pour nous rappeler les chrétiens tués le 16 février, pour leur dire que l’Eglise ne les a pas oubliés. Notre grand espoir est de construire un nouveau Congo, un autre Congo. Est-ce possible ? ». C’est en ces termes que l’abbé François Luyeye a introduit sa prédication de la messe d’action de grâce organisée en l’église de la paroisse saint Alphonse de Matete mercredi 16 février.
C’est une messe de sensibilisation sur la prise de responsabilité des chrétiens congolais face au destin de leur pays, à leur propre destin. En se souvenant des chrétiens kinois tombés sous les balles de la soldatesque du maréchal Mobutu, les Congolais réunis en l’église de la paroisse saint Alphonse voulaient montrer que ces chrétiens ne sont pas morts au nom de Jésus-Christ. « Est-ce qu’il faut toujours pleurer chaque 16 février ?, a interrogé l’abbé François Luyeye, en répondant par la négative, estimant que « la marche du peuple congolais ne doit pas s’arrêter. Elle signifie sa prise en main de ses responsabilités devant Dieu ».
Dans sa prédication, l’abbé François Luyeye s’est servi du message de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) du 24 juin 2010 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’Indépendance de la RDC, intitulé «Notre rêve d’un Congo plus beau qu’avant », dont il a épinglé certains passages clés et qui ont constitué son message.

« Une vision et une pratique du pouvoir politique contraires aux idéaux de l’indépendance »
« Ne faudrait-il pas reconnaître que la source première de la plupart de nos problèmes et de nos échecs réside dans une vision et une pratique du pouvoir politique contraires aux idéaux de l’indépendance et des sociétés démocratiques ? En effet, au lieu d’être un service du bien commun, les responsabilités publiques sont appréhendées et exercées dans la logique du partage des avantages économiques au détriment de la population. On préfère la légitimité des alliances politiques et militaires à celle que confère un service loyal du peuple. » (point 13) Il a relevé le fait que l’idéal des dirigeants congolais est de s’enraciner au pouvoir et que la RDC a plus reculé qu’avancé.
« Ne nous voilons pas la face : le rêve de bâtir un Congo plus beau qu’avant n’a-t-il pas été brisé ? Pour nous, la RD Congo a plus reculé qu’avancé. L’homme congolais n’a pas été au centre de l’action politique, ni économique ni sociale. Après cinquante ans d’existence, notre pays est sous accompagnement et encadrement international spécial pour sa survie et son fonctionnement. Pouvons-nous espérer que ce cinquantenaire sera un tournant décisif pour un avenir meilleur ? » (point 30)
« Les politiciens que nous voulons pour le Congo de demain sont ceux qui craignent Dieu, aiment notre peuple jusqu’au bout et vivent leur engagement politique comme un service du bien commun. C’est l’homme qui doit être au coeur de tout engagement politique. » (point 36)
En rappelant ces trois passages significatifs du message des évêques de RDC, l’abbé François Luyeye a tenu, selon ses propres termes, à raviver l’espérance, de faire naître un Congo nouveau qui ne viendra pas avec des prières, mais plutôt avec le travail. L’espérance chrétienne est l’antidote de toute fatalité, a déclaré le prédicateur du jour, estimant qu’on ne gouverne pas un pays par des cadeaux et que nous avons tous la responsabilité de participer à la naissance d’un Congo nouveau, d’amour. Le vol, la corruption et autres antivaleurs sont des vices qui avilissent notre pays.

Ne pas se taire
Dans un élan de sensibilisateur, l’abbé François Luyeye, recteur au Grand Séminaire Jean XXIII, aumônier de la classe politique, a lancé cet engagement devant des centaines de fidèles catholiques rassemblés au cours de cette messe « nous sommes venus prendre un engagement devant Dieu pour dire qu’aussi longtemps que le peuple congolais continuera de croupir dans la misère, je ne me tairai pas. Je suis prêt à refaire un autre 16 février. Aussi longtemps que nous n’avons pas encore vu le nouveau Congo, je ne dormirai pas ni ne me tairai.»
Comme pour donner un autre relief à l’événement, deux témoins de la journée du 16 février ont fait part de ce qu’ils ont vécu ce jour-là : le père Léon de saint Moulin qui a rappelé le bilan de cette tuerie (12 morts et plus de 33 blessés graves) dont il a cité quelques noms, et Mme Marie-Thérèse Mulamba, l’une des organisatrices du comité laïc.
24 heures plus tôt, dans une conférence animée à la paroisse Notre-Dame d’Afrique à Lemba, l’abbé Richard Mugaruka a insisté sur ce que doit être « le martyre chrétien en RDC », qui était même le thème de sa conférence. Parlant au nom de Jésus, il a invité les Congolais « à nous convertir et à nous engager dans le combat pour l’avènement du Royaume de Dieu en RDC, Royaume de vérité et de justice, d’amour et de paix ». Comme quoi, cet « engagement implique la croix, le martyr ». Cela dit, Jésus exhorte les Congolais à ne pas craindre « ceux qui peuvent tuer le corps mais qui ne peuvent pas tuer l’âme ».
Kléber Kungu

mardi 15 février 2011

Le Collectif du 16 février appelle à la construction d’un autre Congo

16 février 1992-16 février 2011
Le Collectif du 16 février appelle à la construction d’un autre Congo
A l’occasion du 19ème anniversaire du massacre des chrétiens de Kinshasa par la soldatesque de Mobutu Sese Seko le 16 février 1992, qui, dans une marche pacifique, demandaient la réouverture de la Conférence nationale souveraine, le Collectif du 16 février, veut ‘’non seulement faire mémoire de nos martyrs de la démocratie, mais surtout poursuivre le combat pour lequel ils ont donné leur vie en nous engageant dans un processus électoral véritablement libre, transparent et démocratique ».
A cette occasion, plusieurs activités seront organisées, notamment une conférence-débat sur le thème « Le martyre » par l’abbé Richard Mugaruka à la paroisse Notre Dame d’Afrique à Lemba, et la célébration eucharistique à la paroisse saint Alphonse à Matete.
Le Collectif du 16 février, composé de Groupe Jérémie, du Rodhécic, des Toges Noires, de Clam-Kin, de Miec, de MIIC, d’Ekolo ya Bandeko, d’Ascovi, de Groupe Amos, d’Amis de la Prison et d’Amis du Ciam, appelle ainsi le peuple congolais à construire « ensemble un autre Congo avec des hommes nouveaux ».
Dans un communiqué publié par ce regroupement des ONG et ASBL, les signataires rappellent le contexte qui avait conduit à ce drame qui avait fauché plusieurs dizaines de chrétiens de Kinshasa. « Ensemble, il y a 19 ans, rappelle le document dont L’Observateur a obtenu copie, nous sommes sortis dans la rue pour réclamer la réouverture de la ‘’Conférence nationale souveraine’’ qui exprimait notre volonté de bâtir un Autre Congo, ‘’un Congo plus beau qu’avant’’.
En cette année spécialement électorale, le Collectif du 16 février estime qu’il « faut choisir des hommes nouveaux pour bâtir un nouveau Congo ». Il va plus loin en proposant le profil auquel ils doivent répondre, notamment « des hommes et des femmes d’action, pénétrés de l’intérêt supérieur de l’Etat, de vrais patriotes ; des hommes et des femmes intègres, compétents, travailleurs, meneurs d’hommes ; des hommes et des femmes tolérants, rassembleurs, mais intraitables lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt général ; des hommes et des femmes capables de réaliser beaucoup avec peu de moyens ; des hommes et des femmes qui n’aiment pas le pouvoir pour le pouvoir, mais pour qui ce dernier ne constitue qu’un instrument leur permettant de réaliser leur idéal au profit de la communauté nationale, et qui sont capables de s’en dessaisir dès lors que, pour une raison ou une autre, ils estiment ne pas être en mesure de réaliser cet idéal. »
Le Collectif du 16 février invite la communauté nationale à réaliser trois choses aussi importantes que capitales : « ensemble, mettons-nous à la recherche de ces hommes et femmes qui existent dans nos milieux de vie », « ensemble, cherchons les moyens matériels et financiers qui soient réellement propres à nous en vue de sortir du diktat de ladite ‘’Communauté internationale’’ qui représente les nouveaux maîtres du monde », « ensemble, partageons la même vision du Congo, une terre de participation, d’égalité, de liberté et de justice, qui nous guidera dans le choix des dirigeants qui incarnent cette vision »
Kléber Kungu

Al' Mata présente sa dernière BD : "Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet".


Dans une interview sur RFI
Al' Mata présente sa dernière BD : "Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet".
Alain Mata Mamengi, alias Al' Mata, présente sa dernière bande dessinée "Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet", qu’il a consignée avec Christophe Ngalle Edimo, le scénariste.
Le retour au pays d’Alphonse Madiba, dit Daudet raconte les mésaventures tragi-comiques d’Alphonse Madiba, un étudiant africain expulsé de France après avoir échoué dans plusieurs facs en Europe, un éternel étudiant qui fait semblant de poursuivre ses études tout en vivant aux dépens des autres. Sans se soucier du lendemain, jusqu’au jour où, après avoir reçu du ministre de la Justice, sa lettre d’expulsion. La réalité très crue est devant ce rêveur impénitent : il est contraint à rentrer au pays. Mais dans son esprit troublé, plusieurs questions s’enchevêtrent, notamment : comment avouer son échec quand tout un clan, toute une famille, a placé ses espoirs sur vous ?
Aussi, la mort dans l’âme, de retour au pays, il va s’improviser spécialiste dans divers domaines avec de faux diplômes et en arnaquant les autres.
A travers cette interview très intéressante sur RFI Al’ Mata, ce caricaturiste de renom, qui vit actuellement en France depuis plusieurs années, que Yasmine Chouaki, au cours de l’émission En sol majeur, va qualifier d’ ‘’un doué qui préfère dessiner plutôt que de parler’’, va dévoiler comment il a fait du métier de dessinateur sa profession.
Alain Mata Mamengi, dit Al' Mata, est né à Kinshasa en 1970. Diplôme d’Académie des Beaux Arts de Kinshasa en poche, il est embauché comme caricaturiste au journal L'Observateur avant d'en devenir le directeur artistique. En 1998, Al' Mata remporte le «Calque d'or» qui récompense les meilleurs caricaturistes des medias de Kinshasa et en 2000, il reçoit le Prix de la presse au 3e Salon de la bande dessinée. Aujourd'hui, Al' Mata vit en France, précisément en Bourgogne, et dans ses bandes dessinées, il aborde souvent le thème de l'intégration, comme dans Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet, qu’il signe chez L’Harmattan avec Christophe Ngalle Edimo.



Yasmine Chouaki : Bonjour Al’ Mata

Al’ Mata Mamengi : Bonjour Yasmine.

Il ya un proverbe, je crois, qui dit on est le maître du mot qu’on n’a pas dit et l’esclave du mot qu’on a dit. Vous connaissez ce proverbe ?

Non, malheureusement…(rires)

Est-ce c’est pour cela que vous préférez dessiner ?

Oui…Bon, mais… (rires)

Pourquoi vous dessinez ?

Je ne sais pas, mais le dessin, ça a été toujours un truc à moi depuis que j’ai été tout petit. Donc, voilà ça grandit, ça grandit, un jusqu’au jour où je me vois dans ce beau métier.

Vous ne pouvez pas vous en empêcher ?

Non, pas du tout.

Vous avez des crayons là, chez vous ?

Oui, bien sûr, toujours.

Est-ce vous pouvez dessiner pendant l’émission ?

Oui, bien sûr.

L’histoire que vous signez avec Christophe Ngalle Edimo, moi je l’ai kiffée, comme disent les auditeurs qui nous écoutent et qui réagissent sur Facebook. C’est en même temps l’histoire c’est terrible et classique de bon nombre d’immigrés en France. Comment vous la raconteriez, cette histoire d’Alphonse Madiba, dit Daudet ?

L’histoire de la bande dessinée. En fait, le projet est parti par Christophe Ngal, le scénariste, qui est un ami que l’on se connaît depuis. L’histoire, il l’a écrite depuis 2002. A mon arrivée en France, il me l’avait proposée et j’ai commencé à la dessiner petit à petit. J’ai trouvé l’histoire alléchante….

A son côté dessin

Oui, parce qu’il parlait d’immigration dans l’autre sens…

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire la personne vivait déjà en France. C’est pour cela je dis de l’autre sens, parce que généralement on voit des gens qui quittent l’Afrique pour venir en Europe, mais l’histoire parle de quelqu’un qui vivait déjà en France pour repartir en Afrique après un arrêté d’expulsion.

C’est un regard très caustique sur cette question. Est-ce que vous étiez de concert d’accord de signer avec un regard cynique, plein d’humour sur cette question de retour au pays ?

En fait, c’est le scénariste qui avait planché sur l’histoire et moi j’ai aimé. Parce que l’histoire de Madiba, c‘est un problème de société. Tout comme on pouvait plancher sur les Indiens, les Chinois, mais nous, on a planché sur l’Afrique, parce qu’on connait mieux l’Afrique, étant Africains. Voilà, on a choisi de plancher sur cette histoire de Madiba.

Et vous pensiez qu’il fallait y mettre un petit peu d’humour. C’est présenté comme un roman graphique, plein de causticité sur cet Alphonse qui, au début, végète un petit peu dans son foyer d’immigré à Paris. Juste pour donner une idée d’humour que vous développez dans cette bande dessinée. Scène I : il reçoit sa lettre d’expulsion du ministère de la Justice. Et là, il a une réaction physiologique incroyable.

Absolument. Donc, tout est parti…(Rires)

Non, non, c’est quoi cette réaction ?... (Rires)

La réaction est que parce qu’il ne s’attendait pas à recevoir une lettre d’expulsion à ce moment-là…

On est d’accord ?

Oui. Et puis…

Comment il réagit alors ? (Rires)

Si c’était moi, j’allais aussi réagir pareil…Parce que…

Peut-être vous auriez eu une érection… (Rires). C’est ce qui arrive aux personnages. C’est pour ça que vous dessinez l’émotion finalement…Je n’invente rien, Al’ Mata ?

Bien sûr, bien sûr, tout est écrit dans la bande dessinée

Cette idée est de qui ?

Elle est de Christophe. En tout cas, mot par mot, moi je n’ai rien écrit. Je ne faisais qu’interpréter le texte de Christophe comme il était dans le scénario.

Toujours, d’accord, vous assumez cette érection ? (Rires)

Bien sûr. (Rires)

Il y a aussi cette lettre du ministère de la Justice qui est aussi un petit chef-d’œuvre, le coup de gueule vis-à-vis de l’administration française. Ca il faut vraiment le dire. Et puis c’est aussi et surtout une critique du fameux mythe du retour au pays. Car le retour de votre Alphonse Daudet est une vraie catastrophe. La faute à qui ? Pourquoi ?

La faute, c’est à lui-même Alphonse Daudet, parce qu’il n’a pas pu poursuivre ses études comme il fallait. Si on regarde bien dans la bande dessinée, à côté, il y a encore ses amis qui avaient fait des études avant lui. Mais, eux, quand même ils sont parvenus à réussir dans leur vie, parce qu’ils ont mis du sérieux dans leurs études. Par contre, Madiba était tout le temps à côté. Il croyait aux fétiches de sa maman. Ce qui fait qu’il n’était même pas préparé à son retour au pays.

C’est un peu un imposteur. Et vous savez dans quel pays s’est passée cette histoire?

C’est un pays imaginaire, bien sûr. Balaphonie n’existe pas, mais dans ma tête, comme je connais bien l’Afrique centrale, il faut dire que l’histoire se passe en Afrique centrale. Il y a eu quelques décors de Kinshasa que j’ai pu modifier par rapport à moi-même.

Vous connaissez sur Rfi le Gonduana ? Bienvenue en Balaphonie (Rires).

(Un morceau de Bob Marley, le Wailers, comme pause)

Vous êtes un fan absolu de Bob Marley ?

Ah ! Oui, bien sûr.

Curieusement.

C’est mon frère qui m’a fait aimer Bob Marley.

Le grand-frère ?

Le grand-frère qui est déjà décédé, malheureusement.

Je ne sais pas si Hergé aurait pu dessiner votre histoire, à vous, Al’ Mata, avec une des planches consacrées à la période du Congo Belge. Parfois, à mon avis, on est bouleversé vous-même. Ces pages Congo Belge que vous n’avez pas vécues, bien sûr, étaient traversées comme …. par votre famille, vous savez ?

Oui…Bon, je ne sais pas grand-chose sur le Congo Belge…

Sur la famille… à cette année-là?

Sur la famille à cette période-là, je ne sais pas grand-chose, non plus. Mais tout ce que je sais dans le temps : vers les années 50, 58, mon père travaillait dans une société belge. Avec la venue de l’indépendance, les responsables de cette société ont quitté le pays précipitamment et le père avait hérité de cette société provisoirement pour gérer les biens de cette famille, la famille Margiamo, sa fille, je me rappelle ce nom. Après quelques années, ils sont revenus pour reprendre leur société. Et puis, après, mon père a travaillé dans des sociétés congolaises.

On ne sait pas grand-chose, parce qu’on n’interrogeait pas le papa à la maison. C’était quelqu’un de difficile, apparemment.

Oui… bon… comme en Afrique, le papa parle peu avec les enfants, quand il veut. Ce n’était pas une pratique que les enfants qui devais aller chez le papa pour demander ce qui s’est passé dans le temps.

Et puis, il était strict, disons-le.

Ca, non…quand même (Rires).

Vous êtes du Bas-Congo, comme on dit. De deux côtés de la famille ?

Oui, de deux côtés, mais mon père est originaire de l’Angola.

Ah ! Et alors, vous savez l’histoire de leur exil ou du déplacement de cette famille jusque Kinshasa ? (Rires)

Là aussi, je ne sais pas grand-chose. Mais, tout ce que je sais, ça fait des années et des années…(Rires)

(….)

Tout ce que je sais, comme vous le savez bien, le Congo Kinshasa, l’Angola et le Congo Brazzaville sont les pays les plus proches du monde, et il n’y a pas vraiment de frontière.
Toute la tribu kongo est en Angola, au Congo Kinshasa tout comme au Congo Brazzaville ; ce qui fait que pendant ces années-là de colonisation, des gens entraient comme ils pouvaient. Donc, ce qui fait que mes grands-parents sont venus de là et se sont installés au Congo Kinshasa.

Détendez-vous, Al’ Mata, c’est juste la radio et rien de plus, qui vous racontait des histoires en famille qui vous faisaient rire quand vous étiez enfant ?

C’est beaucoup plus mes frères.

C’est vos frères ?

Oui.

Un frère en particulier ?

Oui…

Attendez, je vais vous aider. Moi, j’ai enregistré votre mémoire familiale quelque part. Il y a un grand-père maternel.

Ah ! Oui, ça, je l’avoue bien. Mon grand-père maternel, c’est lui vraiment qui nous racontait des histoires pour nous faire rire, parce que de temps en temps j’allais en vacances chez mes grands-parents. Lui, c’est un garçon qui a beaucoup travaillé dans sa vie : il était comptable chez Agri Congo, en plus il était polyglotte, il parlait notamment le français, l’anglais, le portugais, aussi l’espagnol.

Donc, c’est un intello ?

Ah ! Oui, c’était un intello.

Alors, vous au milieu de père Emmanuel. Emmanuel est en train d’aider votre père et votre mère Marie, d’une famille des protestants, on parle lingala ?

Lingala.

Vous, vous êtes au milieu de la fratrie. 14 enfants quand même. 7 est le chiffre magique, vous êtes juste le 7ème enfant. Si vous deviez – exercice difficile peut-être qui vous a traversé l’esprit – dessiner cette enfance à Kinshasa, ça donnerait quoi ?

Dessiner cette enfance à Kinshasa ne coûte rien. (Rires) C’était agréable de vivre à Kinshasa, mon enfance, je l’assumais...C’était agréable…

Vous dessiniez quoi tout petit, parce que… ?

Tout petit déjà, je griffonnais dans des papiers. Ce que je faisais principalement, c’était le dessin par terre dans du sable. Moi, j’avais l’habitude, après avoir vu un film à la télé, d’appeler mes amis qui étaient toujours autour de moi, puis je leur racontais les histoires en dessinant par terre, donc dans du sable et ça faisait la joie à mes amis.

(Musique de ce film)

Donc, le film de Bruce Lee, première inspiration pour vous, Al’ Mata ?

Oui, ça, je n’oublierai jamais. Parce que, je me souviens, j’avais six ans dans le temps et qu’un jour, je suis allé me planter devant une salle de cinéma qui s’appelait Ciné Bongolo.

Dans quel quartier ?

Dans le quartier Kimbangu, juste en face de Matonge qui était mon quartier…

Pour ceux qui le connaissent.

Oui…Donc, je m’étais pointé là et il y avait ce jour-là l’affiche du film Big-Boss de Bruce Lee qui était comme acteur.

On vient d’entendre la bande d’annonce. Vous vous souvenez des paroles ? Alors, vous avez volé l’affiche du cinéma de ce film ?

Non, je n’ai pas volé. J’étais devant l’affiche, j’étais planté-là et j’avais copié le dessin, j’avais copié l’affiche telle qu’elle était dans mon papier. Je sais que ce n’était pas terrible à cet âge-là, mais par rapport aux gens qui me regardaient à mon âge de six ans que je représente cette affiche sur mon papier, c’était quand même une chose incroyable. Quand j’ai eu le dessin, je l’ai amené dans ma classe, puisque j’étais en première année primaire et ça a été une affaire tout autour de mes amis.

Alors, la question se pose pour vous dans ce Kinshasa des années 80, c’est comment en faire une profession, comment devenir un professionnel de dessins ?

Oui, c’est vrai, je me suis posé beaucoup de questions sur cela. D’ailleurs, mon père ne voulait pas que je fasse les beaux arts, parce qu’il ne voyait pas vraiment un dessinateur autour de lui qui pouvait assumer sa famille avec les dessins. Il y en avait quand même, les sculpteurs qu’on connait bien qui ont gagné leur vie, mais c’était un chiffre à compter sur le bout des doigts, il n’y avait pas vraiment beaucoup d’artistes qui avaient réussi à ce temps-là.

Donc, vous, vous devez votre salut grâce à un certain abbé de la paroisse du quartier qui passe par là ?

Oui…j’étais en sixième année primaire. Un jour, j’étais en train de dessiner comme d’habitude, devant des affiches cinématographiques…

Incorrigible.

(Rires) Il y a un monsieur, qui était juste derrière moi, il me regardait comment je dessinais, il m’a demandé : ‘’Oui, jeune homme, ce que tu fais là, tu comptes vraiment en faire un métier de dessin. J’ai dit oui. Tu es en quelle classe ? Je suis en sixième année primaire et j’attends les examens d’orientation pour aller dans des écoles d’art.’’

Voilà, et c’est parti pour les Beaux arts de Kinshasa, ce sera en 1982. C’est en suivant les traces de sa mère, qui était une pleureuse professionnelle, qu’il est devenu d’abord Jules Presley, premier pseudo de Papa Wemba que vous avez programmé avec Fa Fa Fa (…)
Papa Wemba, se trouve dans votre enfance, Al’ Mata, à Kinshasa.

Oui, d’ailleurs, j’ai grandi dans le même quartier que Papa Wemba. Donc, je le connais assez bien.
(Chanson de Fa Fa Fa de Papa Wamba)

C’est un leader d’opinion, puisque c’est un dessinateur de presse qui a signé Al’ Mata dans les journaux congolais pendant plus de 10 ans. Lui qui vient de raconter en bande dessinée les aventures tragi-comiques d’un immigré africain en France, joue le Bourguignon d’adoption tranquille, en affichant un doute tranquille, lui aussi, sur la suite de ses événements à lui, lui qui se cherche dans le grand livre d’identité entre Afrique et Occident, juste dans un homesland qui lui donnent de belles idées tragi-comiques dans une bande dessinée. C’est vrai, ça ?

Quand vous étiez à L’Observateur, ce quotidien congolais, Al’ Mata, entre 1991 et 2002, donc au plus fort de toutes les tensions que ce soit sociales, économiques, ethniques et politiques, de quels étaient vos coups de gueule et vos colères ?

Mes coups de gueule, donc…

Parce que vous êtes un homme de colère, d’ailleurs, n’est-ce pas comme cela ?
Non…non… (Rires) En fait, à L’Observateur, moi j’étais le caricaturiste du journal. Donc, je dessinais
les dessins, selon le tempérament du jour. Au départ, mes dessins que je faisais étaient écrits par mon éditeur. C’est après qu’il m’a laissé la liberté de faire ce que je pouvais…

Toute la liberté ? Sur n’importe quel sujet ?

Oui. Absolument.

Exemple.

Exemple, je me penchais tout d’abord sur l’actualité. Je regardais l’actualité, que ce soit politique, sportive, culturelle ou sociale, il y avait aussi les à-côtés de la société ou encore les faits divers. C’est ce que je faisais comme caricature.

Donc, c’est-à-dire, par exemple, la guerre qui démarre en 1996 avec le renversement de Mobutu par Kabila. Ca, c’est pas votre fort en termes d’inspiration ?

Bien sûr. J’étais là, je dessinais…

Qu’est-ce que vous dessiniez alors ?

Je dessinais tout ce qui s’est passé tout autour de cette guerre : la scène politique, le parcours de Kabila, je l’ai dessiné. Et je me souviens même, dans le temps, quand Kabila était entré à Kinshasa, il avait fait passer un message par un de ses ministres pour dire à mon éditeur qu’il lisait mes caricatures depuis qu’il était dans la rébellion, quand il avançait, il lisait mes caricatures. Alors, le fait d’entendre qu’il voyait comment je faisais, ce que je faisais, donc, entre autres, moi aussi je participais à cette lutte.

Alors, il n’aimait pas visiblement vos caricatures chez lui ? Est-ce que vous vous souvenez de ces dessins où vous avez caricaturé Kabila ?

Ah ! Oui, j’ai fait pas mal de dessins, mais je me souviens…

Défendez-vous un petit peu là.

Je me souviens encore d’une de mes caricatures où je l’ai dessiné parce que quand Kabila est entré, il prônait à son gouvernement que le plan de ce gouvernement était sur l’agriculture. Il disait ‘l’agriculture doit passer en priorité dans le programme du gouvernement.’’ Et lui-même quand il est allé en Chine, il s’attendait à un accueil chaleureux : tapis rouge, et voilà il s’est fait accueillir par un ministre de l’Agriculture là-bas. J’ai fait un peu de commentaire dans la caricature sur cette forme-là.

Al’ Mata vous me parlez aussi autour des obsèques c’était en 1993. Vous avez dessiné un Mobutu en train de pleurer sue la dépouille du Roi Baudouin.

Ca, j’avais fait, c’était dans le journal Le Palmarès.

Ca avait quel sens, ces larmes ?
Oh ! la la. Ca, je ne vous dirai pas, je ne vous dirai pas, parce que c’était grave, plus grave que ça…

Même sous la torture, vous ne direz pas ?

Je ne m’attendais pas à cela. Les caricatures que j’ai faites de Mobutu, c’était pendant les obsèques du Roi Baudouin. Alors, j’ai fait une caricature qui représentait Mobutu en train de pleurer. Il y avait un conseiller de lui qui lui demandait de pleurer fortement, parce qu’à ce moment-là, il y avait des tensions entre la Belgique et le Congo. Donc, le pont était vraiment coupé. Alors, ce conseiller lui disait de pleurer pour qu’il puisse obtenir le pardon chez les Belges. Comme si Mobutu profitait de la mort du Roi Baudouin pour retrouver encore l’assiette des Belges dans sa cuisine politique.

Ca a l’air difficile à sortir. Ca vous a valu des ennuis de la part des autorités… ?

Déjà au départ, la rédaction du journal a été saccagée…

Qu’est-ce qui a été saccagé ?

La rédaction du journal Le Palmarès a été saccagée. Le journal a été interdit de sortir et moi, naïf que j’étais, je ne savais rien de ce qui se passait dans la journée. C’est un ami qui était journaliste qui était venu m’avertir : ‘’voilà, Alain le journal Le Palmarès était saccagé par rapport à ta caricature d’aujourd’hui. Donc, il faudra que tu prennes toutes tes précautions, parce qu’on ne sait jamais.’’

Prendre ses précautions, c’est partir ?

Ah ! Oui… Je n’étais pas parti, mais j’étais toujours à Kinshasa, j’étais parti m’éclipser chez une de mes tantes. Pendant ce temps, je dessinais encore dans le journal L’Observateur, alors mon éditeur ne savait pas que c’était moi qui dessinais aussi dans Le Palmarès comme je signais avec le pseudo. Il avait des soupçons. Il m’avait demandé :’’Alain, la caricature du Palmarès d’aujourd’hui a fait du boucan, tu ne connais pas par hasard le dessinateur ?’’ Non, je ne connais pas ce qui s’est passé…

Vous êtes frondeur, l’air de rien.

(Musique : Sex Healing de Marvin Gaye)

Est-ce que dans votre cas, Alain Mata, vous qui nous racontez Kinshasa maintenant depuis une demi-heure, vous qui allez retourner en Bourgogne juste après l’émission, est-ce que vous diriez que vous avez aussi des amours, c’est-à-dire votre pays, puis disons Paris ?

Oui, j’ai des amours, on peut le dire comme ça. La France, c’est un pays qui m’a accueilli, c’est tout à fait normal que je l’aime aussi. Je me sens considéré comme au milieu du chemin entre Kinshasa et Paris. Mais je me sens toujours un Africain, ça, on ne peut pas le nier. Je suis Africain, je resterai Africain.

Donc, une reconnaissance vis-à-vis de la France, mais intrinsèquement la culture reste africaine. Sur quoi par exemple ?

La culture reste africaine sur le plan traditionnel, parce que nous gardons encore nos valeurs ancestrales. Il y a plusieurs plans. Si j’entre dans les détails, par rapport à la cuisine, ma cuisine reste encore africaine. Il y a pas mal de trucs qui concernent les…

Par exemple, les feuilles de manioc, comme ça au passage ?

Ah ! Oui, les feuilles de manioc qu’on appelle chez nous le pondu, le mfumbwa, le haricot, j’aime bien, et puis la semoule qu’on dit chez nous le fufu, ce sont mes plats préférés.

Arrivons sur le plan d’éducation, puisque vous êtes dressé vraiment à la mode africaine, c’est quand même très, très stricte, c’est ce que vous nous racontiez tout à l’heure.

Oui, l’éducation que nous avons eue était très, très stricte. Nous avons reçu une éducation chrétienne et très stricte aussi. Donc l’éducation d’ici et de là-bas, ce n’est pas pareil.

Vous allez trancher comment?

Moi je préfère notre éducation à nous, parce que c’est celle-ci qui nous a servi vraiment de base pour devenir ce qu’on est aujourd’hui.

Alors vous êtes arrivé en 2002 en France pour vous installer. Vous avez été soutenu par l’association Afrique Dessiner. Ils vous ont aidé de quelle manière ?

Quand je suis arrivé, je ne savais pas comment m’y prendre à Paris, quelles démarches faire, par quelle porte entrer. Heureusement pour moi, j’avais des amis de l’Afrique Dessiner, particulièrement mon scénariste Christophe N’galle Edimo qui m’a soutenu depuis mon arrivée à Paris jusqu’à ce que j’aie pu quand même m’asseoir à Paris.

Donc, soutenir le but cette association, c’était soutenir les dessinateurs africains ?

Oui.

Donc, votre but à vous, c’est dessiner l’Afrique ?

C’est dessiner l’Afrique.

Autrement, sans préjuger.

Sans préjuger. C’est bien de conter l’histoire de l’Afrique. Ce que je voulais dire, c’est au moment où les dessinateurs africains comment à dessiner l’Afrique eux-mêmes, c’est encore mieux, parce que dans le temps, la bande dessinée africaine était considérée comme décor dans des bandes dessinées faites par les « auteurs occidentaux ». Raison pour laquelle nous avons voulu donner la parole à ce décor pour qu’il s’exprime, pour qu’il parle de ce que lui-même connaît de son Afrique.

Avant d’en vivre, il fallait mettre la main à la pâte. Vous avez eu un petit peu la migritite ?

Oui, comme tout autre immigré, j’ai fait pas mal de boulots. A mon arrivée, j’ai fait la plonge dans un restaurant à Paris. Donc après, j’ai fait la préparation des commandes, des petits boulots à côté pour m’alimenter. Donc, il fallait avoir de petits jobs alimentaires et travailler des projets des BD à côté.

Ca fait quand même neuf ans que vous n’êtes pas retourné au pays.

Oui, c’est comme ça. Pour des raisons personnelles, je ne suis pas encore retourné au pays. Mais je compte y aller d’ici à deux ans.

Vous vous sentez un tout petit peu déconnecté du groupe ?

Un tout petit peu, oui. En tout cas, je suis un peu déconnecté de certaines réalités de Kinshasa. Parce que ça j’en vois par rapport à mes amis. Quand ils viennent et qu’on discute de certaines choses, ils me disent : ‘’Alain, toi, tu es déconnecté de certaines réalités de Kinshasa. Le jour où tu vas retourner, tu seras quand même étonné. Je leur réponds que Kinshasa reste ma ville, je la connais comme ma poche, même s’il y a des constructions aujourd’hui, je la reconnaîtrai toujours’’.

(La voix de Sylvestre Stallone, la musique du film Titanic, le film d’Avatars)

Je me demandais si un dessinateur comme vous, dans une approche quand même surréaliste au niveau de dessin, est-ce que vous êtes influencé par ce genre des films de science fiction tournés en 3D ?

Oui, je pense que le cinéma c’est…

Ca n’a pas l’air…

Le cinéma est une approche de la bande dessinée, tant que le cinéma et la bande dessinée, il n’y a qu’un pas. Ce qui fait que je regarde énormément de films, parce que cela m’inspire par rapport à des prises de vue, surtout les films qui se tournent actuellement comme les Avatars, il y a des prises de vue vraiment hallucinantes qui nous servent de données dans les bandes dessinées. J’adore, j’adore James Cameron, c’est vraiment quelqu’un qui est en train de révolutionner le cinéma.

Mais votre bande dessinée, ça c’est une autre question. Il faut voir. La figure qui compte pour vous, dessinateur de presse, c’est aussi la figure de Plantu, journaliste au journal au Monde, qui, chaque jour, comme vous le faisiez au Congo, croque l’actualité avec un dessin satirique. Est-ce que c’est un répère dans votre travail ?

Pas vraiment, mais j’aime beaucoup Plantu, parce que je l’ai lu depuis que j’étais petit. Ses dessins m’inspiraient, mais pas rapport à mon style. Par rapport à ce qu’il faisait, il y a une petite case comme ça. Je me disais que dans une petite case comme cela où il raconte tout et puis c’est fini.

J’aurais préféré vous entendre vous exprimer sur les caricatures danoises sur Mahomet. Est-ce que vous, en ce moment-là, vous compreniez ou vous ne compreniez pas, que pour les musulmans, dessiner Mahomet, c’est perçu comme blasphème ?

Ah ! Ce sujet-là…

(Rires)

Je l’ai suivi, mais je n’ai pas voulu dire ce que moi je pensais par rapport à cela, mais…

Pourquoi ?

Etant donné que le sujet était complexe, mais je pense plutôt que les gens devaient comprendre que la caricature reste un moyen d’expression, les caricatures avec le dessin…

La question, c’est que vous avez, vous, des limites en matière de liberté d’expression, est-ce qu’il y a des sujets tabou pour vous ?

Oui…

Lesquels, alors ?

Sur le plan sexuel, par exemple, je m’autocensure moi-même, par rapport aux dessins que je dois faire, j’ai une limite par rapport à moi-même.

Même en étant ici en Occident, ça n’a pas libéré, émancipé votre imaginaire?

Non, même en étant ici, j’ai toujours des limites par rapport à moi-même.

Dernière figure, c’est d’Hergé, le papa de Tintin au Congo. C’est un album qui est jugé aujourd’hui, en 2010, raciste. Il y a même un Congolais, étudiant à Bruxelles, en sciences politiques, qui a porté plainte en juillet dernier - je ne sais pas si vous avez entendu cela - trouvant que ce livre fait de la propagande colonialiste. Pourtant, dans votre inventaire sonore, vous avez pu entendre la voix d’Hergé. Est-ce que c’est un modèle à suivre ou pas, pour vous Congolais, Al’ Mata ?

Oui, c’est un modèle à suivre sur le plan graphique, par rapport à ce qu’il a fait à la bande dessinée, mais par rapport à Tintin au Congo, je pense que ce sujet-là…(Rires)

C’est tabou, ça aussi ou pas ?

Non, ce n’est pas tabou, mais les gens ont raison pour dire que c’est un peu raciste par rapport aux dessins.

Vous n’êtes pas les gens. Est-ce que vous pensez que c’est un album qui a donné une image dégradante ?

Personnellement, je ne le pense pas, peut-être il se cherchait dans le temps comment dessiner les noirs. Il avait le graphique à lui de dessiner comme il entendait, comme s’il il était libre de dessiner. Si les gens l’ont perçu avec un œil un peu comme il voyait, je n’en sais rien, mais… Des fois, je me disais qu’il avait exagéré un tout petit peu par rapport aux lèvres.

C’est l’heure du retour. Est-ce que vous vous sentez habité par ce mythe du retour au pays, Al’ Mata ?

Oui, je pense que je retournerai un jour retourner chez moi.

Pourquoi vous pensez à ça ? Vous ne vous voyez pas dans un temps, avec le même jardin, en train d’élever votre petite famille, sur le modèle français?

Non, je me vois chez moi entouré de mes petits-fils, neveux, nièces, en train de conter des histoires tout autour de moi.

Ca provoque une réaction de la part de Koffi Stéphane qui nous écoute en Côte d’Ivoire et qui vous demande comment on peut siroter du bon vin en Bourgogne et penser au retour ?

(Rires) Du bon vin, oui, déjà, je ne suis pas quelqu’un qui boit de l’alcool…

C’est une boutade. C’est une manière de dire que vous avez la belle vie. Pourquoi vouloir quitter cette belle vie ?

Chacun a sa destinée, chacun a sa façon de voir les choses. Bourgogne, j’adore, j’ai déjà ma vie là où je suis, mais dans le futur, je ne vois pas en Bourgogne en train de terminer… en train… Moi, je me vois en Afrique, la source.

Merci, à vous, Al’ Mata et bon retour en Bourgogne, avant le grand retour au pays… Je rappelle qu’avec Christophe N’galle Edimo, vous publiez chez L’Harmattan "Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet".

(Musique de Lokua Kanza)
Interview décryptée par Kléber Kungu

mardi 1 février 2011

La contagion tunisienne : une thérapeutique contre la dictature

La contagion tunisienne : une thérapeutique contre la dictature
Le vent de la révolution Jasmin, venu de la Tunisie, ne cesse de souffler sur tous les pays – pour le moment arabes et principalement africains. Ben Ali de Tunisie parti, emporté par la révolution des compatriotes luttant à mains nues, plus facilement qu’on ne s’y attendait, l’ouragan démocratique est loin de s’arrêter en si bon chemin. Telle une épidémie très contagieuse, la révolution tunisienne est en train de souffler dangereusement sur l’Egypte de Moubarak. Après avoir tenté de résister quelque moment, la tête de Hosni Moubarak, tel un fruit devenu très mûr, n’a plus beaucoup de jours avant de tomber.
Le hasard historique et contextuel a voulu que la Tunisie de Zine El Abidine Ben Ali soit le berceau d’une révolution qui fera tâche d’huile à travers le monde. Il a suffi qu’un jeune Tunisien diplômé, sans emploi – pardon ayant pour emploi la vente de légumes - Mohamed Bouazizi, meure après s’être immolé par le feu parce que les forces de l’ordre lui ont confisqué ses légumes, pour que naisse, de manière spontanée, ce qui allait devenir une arme contre les dictatures des chefs d’Etat africains. Comme à l’époque, vers les années 1990 lorsque le vent de la perestroïka a conduit les présidents africains à ouvrir leurs pays au processus démocratique.
Les pays arabes voisins regardent la révolution tunisienne avec méfiance, la peur d'une « contagion » est réelle. D'autres immolations par le feu ont lieu dans d'autres pays d'Afrique suite au geste de Mohamed Bouazizi et sont interprétées par les médias comme la volonté des peuples des pays concernés à imiter l'exemple tunisien et à renverser le régime en place.
En Algérie, dès le 12 janvier plusieurs personnes tentent de s'immoler : dans l'enceinte de la sous-préfecture de Bordj Menaiel, le 14 devant un commissariat de police de la ville de Jijel, le 15 janvier devant la mairie de la ville minière de Boukhadra, le 16 janvier devant le siège de la sûreté de la wilaya de Mostaganem, le 17 janvier dans l'enceinte du siège de l'assemblée départementale dans la région d'El Oued ; le même jour une femme tente de s'immoler en pleine Assemblée populaire communale (APC, mairie) de la localité de Sidi Ali Benyoub, à quelque 450 km au sud-ouest d'Alger.
Le 17 janvier, en Mauritanie, un homme s'immole dans sa voiture devant le Sénat à Nouakchott. Au Maroc, trois personnes tentent de s'immoler à la suite des événements de Tunisie.
En Égypte, un homme s'immole le 17 janvier devant l'Assemblée du Peuple au Caire. Le 18 janvier, un avocat d'une quarantaine d'années a tenté de s'immoler devant le siège du gouvernement au Caire, puis un déficient mental a tenté le même geste à Alexandrie. Le 27 janvier, un ancien militaire de 26 ans s'immole par le feu à Hasaké, au nord-est de la Syrie mais les autorités syriennes imposent un black-out sur l'événement.
De la Tunisie à l’Egypte en passant par quel pays suivant – peut-être l’Algérie – la contagion de la révolution tunisienne est en train de faire des victimes. Les peuples longtemps cloués sous le joug des régimes dictatoriaux trouvent maintenant l’occasion de s’exprimer pacifiquement, même si l’on note des dérapages par-ci par-là (pillages et autres actes de vandalisme) pour exiger le départ de ceux qui président aux destinées de leur pays.
Le vent de la révolution des mains nues soufflant, les dictatures africaines tremblent. Car devant les masses déferlantes des populations lassées des dirigeants dictateurs qui ne pensent qu’à leur ventre et à celui de leurs proches, aucune arme n’est capable de tirer. Peut-on être prêt à exterminer des milliers de manifestants qui réclament pacifiquement leurs droits légitimes, bravant toute peur, cassant tout un mur : celui de la peur ?
Un mur s'écroule sur l'autre rive de la Méditerranée. Une muraille invisible mais omniprésente qui a constitué pendant des décennies le principal ressort de régimes à la légitimité chancelante. Ce mur est celui de la peur. La peur d'un arbitraire systématique, à tous les échelons régaliens, à commencer par ceux de la police et de la justice, auxiliaires zélées prêtes à broyer entre leurs meules ceux qui osent revendiquer leurs droits.
C’est maintenant que le discours du président américain, Barack Obama, prononcé en 2009, à Accra, capitale du Ghana, invitant les Africains à prendre à main leur destin, commence à prendre effet. En effet, le 11 juillet 2009, bouclant un long périple commencé en Russie, le Président Barack Obama s’était exprimé devant les parlementaires ghanéens à leur adressant un message sur la démocratie, la bonne gouvernance, la prise de responsabilité.
« Nous devons partir du principe qu’il revient aux Africains de décider de l’avenir de l’Afrique […] Maintenant, pour réaliser cette promesse, nous devons tout d’abord reconnaître une vérité fondamentale à laquelle vous avez donné vie au Ghana, à savoir que le développement dépend de la bonne gouvernance. C’est l’ingrédient qui fait défaut dans beaucoup trop de pays depuis bien trop longtemps. C’est le changement qui peut déverrouiller les potentialités de l’Afrique. Enfin, c’est une responsabilité dont seuls les Africains peuvent s’acquitter […] Comme je l’ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Mais l’histoire prononce un verdict clair : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas […] En ce XXIe siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du succès - des parlements puissants et des forces de police honnêtes ; des juges et des journalistes indépendants ; un secteur privé et une société civile florissants, ainsi qu’une presse indépendante. Tels sont les éléments qui donnent vie à la démocratie, parce que c’est ce qui compte dans la vie quotidienne des gens […] Alors ne vous y trompez pas : l’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions […] »
« Comme je l’ai déjà dit, l’avenir de l’Afrique appartient aux Africains. Les peuples d’Afrique sont prêts à revendiquer cet avenir […] Mais ces choses ne pourront se faire que si vous saisissez la responsabilité de votre avenir. Ce ne sera pas facile. Cela exigera du temps et des efforts. Il y aura des souffrances et des revers. Mais je puis vous promettre ceci : l’Amérique vous accompagnera tout le long du chemin, en tant que partenaire ; en tant qu’amie. Cependant, le progrès ne viendra de nulle part ailleurs, il doit découler des décisions que vous prendrez, des actions que vous engagerez et de l’espoir que vous porterez dans votre cœur. »
Ces paroles d’exhortation du discours du président américain, les Arabes se l’ont rappelé et appliqué. Il porte déjà des fruits palpables en faveur des populations.
Lorsque le vent souffle, aucun mouvement n’est capable de l’arrêter. Le moment est favorable à ce vent car, en Tunisie comme en Egypte, les forces de l’ordre, souvent sous la botte des dirigeants, finissent par se ranger derrière les manifestants en prenant fait et cause pour eux.
Je présume que le vent ne va jamais s’arrêter aux seuls pays arabes : il va se mettre à secouer tous les arbres portant des fruits, verts et mûrs. Aux dirigeants africains de saisir les signes du temps… Démocratie, bonne gouvernance, liberté de toute sorte restent la thérapeutique à appliquer par les dirigeants avant les populations appliquent la leur, souvent très létale. Au propre et au figuré.
Kléber Kungu